Le contrat du tunnel signé en 1954!
by François BourqueCHRONIQUE / La nouvelle paraît en Une de l’édition matinale du Soleil de ce 28 mai 1954. «Signature officielle du contrat pour le futur tunnel Québec-Lévis». Une lectrice m’a fait parvenir un extrait de la page. Je l’en remercie.
On y raconte que la cérémonie a lieu dans les salons de la mairie de l’hôtel de ville de Québec. Elle doit marquer «le début des travaux de génie» du «tunnel Champlain» devant relier le Rond-Point de Lévis au carré Parent à Québec.
Il y a dans la salle des élus dont le maire de Saint-David-de-l’Auberivière, des dignitaires et financiers ainsi que les représentants des compagnies américaines à qui on vient de confier le mandat de creuser le tunnel de 4 kilomètres.
Lucien Borne est alors maire de Québec, mais c’est le pro-maire Gaston Flibotte qui signe pour la Ville. Le même Flibotte qui aura maille à partir quelques années plus tard avec les journalistes qu’il accuse en plein conseil municipal d’être des «ratés, des vendus et des homosexuels».
La Guilde des journalistes s’en indignera et demandera des excuses.
«Nos membres connaissent bien M. Flibotte. D’ordinaire, ils portent fort peu d’attention à ses paroles, sachant qu’elles tiennent du délire autant que de la raison».
«Mais nous ne pouvons traiter avec la même indifférence ces vociférations publiques, car il a mis en cause l’intégrité de notre profession que les préposés à l’information croient essentielle en démocratie.»
Je sens que je m’égare un peu, mais c’était juste pour vous dire que ce n’est pas d’hier que les relations entre des élus et la presse parfois s’enveniment.
Lors de la signature, M. W.G.Rouse, président de Wallace Co de Port Chester, N.Y., prend la parole pour donner les détails du projet de tunnel qu’on évalue alors à 30 M$.
S’il n’y a pas de «complications techniques», il prévoit commencer à creuser avant la fin de 1954 ou au pire au printemps 1955.
Le projet est d’une «importance capitale» pour le développement économique du grand Québec, plaide-t-il. Il met cependant la population en garde. Lui «conseille d’être bien patiente, car ce doit être le moto des ingénieurs eux-mêmes».
Il ne pouvait si bien dire. Le tunnel attend toujours, 66 ans plus tard.
Les derniers tramways ont été retirés des rues de Québec quelques années plus tôt (1948) et l’automobile connaît ces années-là un essor qui ne s’est jamais essoufflé depuis.
L’agglomération de Québec compte à cette époque environ 160 000 personnes et Lévis, 45 000.
Le Rond-Point de Lévis, à l’angle de ce qui est aujourd’hui le boulevard Guillaume-Couture et la route Kennedy, est un carrefour important et «commande un trafic considérable d’automobile et de camions, décrit l’auteur Gilles Roy (1).
Toute la circulation entre Montréal et le Bas-du-Fleuve et les Maritimes y transite, ainsi que celle de la route Lévis-Jackman qui descend vers la Beauce et la frontière américaine. Il n’y a à l’époque ni autoroute 20, ni autoroute de la Beauce.
C’est près de ce carrefour, environ 3500 pieds plus à l’ouest, qu’on prévoit alors lancer le tunnel. C’est à deux kilomètres à peine du nouveau scénario rendu public cette semaine.
L’histoire a de la suite dans les idées. On une idée fixe, selon le point de vue.
Le tunnel Champlain doit ressortir dans Saint-Roch, près du carré Parent, au pied de la côte Dinan, près de la gare du Palais. Pas très loin, là non plus de la sortie projetée dans le scénario de cette semaine.
L’entrepreneur pense à l’époque pouvoir réaliser le tunnel en deux ans et demi, mais «tout dépendra cependant du résultat des sondages qui débuteront sous peu», indique l’article du Soleil.
Il est prévu mobiliser 70 ingénieurs, dont 45 qui seront en permanence à Québec, indique M. Rouse.
Entre 600 et 800 ouvriers doivent y travailler. L’entrepreneur américain promet d’embaucher le plus possible des employés de Québec «pourvu qu’ils soient experts en la matière».
C’est un travail extrêmement spécifique et même dangereux, fait valoir M. Rouse. «La maladresse de l’un d’eux pourrait gâcher le travail de cent experts».
La nouvelle de la signature du contrat du tunnel parue dans l’édition matinale du Soleil du 28 mai 1954 sera chassée de l’édition finale de l’après-midi par une photo et un texte sur un incendie au Club de la Garnison de la rue Saint-Louis.
Le texte sera republié «discrètement» en page 3 de l’édition du lendemain, cette fois sans photo ni gros titre. Comme s’il s’agissait d’un projet de routine. Ou comme si on n’y avait pas cru. Je vous laisse en juger.
L’idée d’un tunnel sous-fluvial ressurgira d’une douzaine d’années plus tard dans une carte postale publicitaire (et fantaisiste) de la bière Laurentide où on peut lire au verso de la photo :
«Et pourquoi pas! Finis les embouteillages! À Québec, on veut aller de l’avant! Et vite! Un projet? Bien sûr! Car c’est à partir du projet qu’on obtient la réalisation. À Québec, tout bouge! Tout change! Y’a du nouveau dans l’air».
Des documents plus sérieux suivront, dont le plan de circulation Vandry-Jobin de 1967 qui suggère plutôt un nouveau pont devant Québec après avoir écarté l’idée d’un tunnel à cause d’un manque de connaissances sur l’état du sol sous le fleuve. Des rapports subséquents relanceront périodiquement l’idée d’un tunnel devant Québec, jusqu’au scénario d’aujourd’hui pour lequel il est difficile de dire s’il nous ramène dans le passé ou nous projette dans l’avenir.
(1) Gilles Roy, Cahiers de géographie du Québec, Le Rond-Point de Lévis, volume 3, numéro 5, 1958