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Le chercheur Pierre Ouzoulias à la Maison de la mutualité à Paris, le 1er février 2019.
Photo Denis Allard pour Libération

«On ne peut pas réformer la recherche sans les chercheurs»

Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, chercheur de profession, porte un regard acéré sur la politique du gouvernement pour la recherche. Il appelle la ministre Frédérique Vidal à «sortir du bois».

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Depuis un an maintenant, le milieu académique attend la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) promise par le gouvernement. Mais, à part des prises de paroles polémiques, les seules annonces concrètes pour le moment concerne le déblocage de 118 millions d’euros pour revaloriser les primes de tous et les salaires des derniers recrutés. La loi elle-même devait être ambitieuse et présentée en Conseil des ministres en février. Elle risque d’être réduite (une dizaine d’articles) et repoussée au printemps.

Pour le sénateur communiste et ancien chercheur Pierre Ouzoulias, ces atermoiements sont «une forme de mépris». Il appelle la ministre Frédérique Vidal à «sortir du bois».

Le contour de la LPPR reste très flou, alors qu’elle a été annoncée il y a un an. Aux dernières nouvelles, elle devrait être repoussée. Que vous inspire cette séquence ?

Je ne suis même pas sûr qu’il y ait une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Le Sénat n’a jamais été informé qu’il serait susceptible de se saisir de ce texte avant la fin de la session parlementaire en juin. Cela repousse l’étude de ce texte à l’automne. Or il me semble politiquement compliqué de débattre en même temps d’une loi de programmation et du budget pour 2021… Tout ceci démontre de la précipitation, de l’improvisation et, au final, une forme de mépris pour la communauté scientifique et universitaire.

Dans son avis très commenté sur la réforme des retraites, le Conseil d’Etat a notamment critiqué le fait de prévoir une loi de programmation pour compenser la perte de retraite des fonctionnaires. Le salaire des chercheurs va-t-il est revalorisé ?

Cet épisode montre encore une forme d’improvisation totale. Le dossier n’est pas géré. Cela fait deux ans que l’on parle de revalorisation du salaire des chercheurs. Aujourd’hui, on parle aussi de compensation en raison du projet de réforme des retraites. Clairement, les collègues craignent d’avoir une compensation mais jamais de revalorisation. Pourtant, tout le monde est d’accord pour dire que les salaires dans la recherche publique sont trop bas.

La ministre a annoncé une revalorisation des salaires des entrants. Que savez-vous d’autre sur le sujet ?

Nous sommes dans le flou. Est-ce que c’est la grille des salaires qui va être revalorisée ? Ou bien cette hausse passera-t-elle par des primes ? Et si c’est le cas, seront-elles dépendantes de la future évaluation que le gouvernement veut mettre en place ? Il faut que la ministre sorte du bois et donne à lire son projet. La seule chose que nous savons au Sénat, c’est que cette loi ferait une dizaine d’articles. Cinq pour la compensation des retraites et cinq autres pour le reste. Mais cela est faible et très loin des ambitions montrées au début par le Premier ministre et le président de la République…

Le réel moment de vérité sera le budget 2021. En trois ans, le gouvernement n’a jamais fait un effort spécifique en direction de la recherche. Je ne crois pas que leur dernière année budgétaire pleine soit suffisante pour réaliser un rattrapage budgétaire conséquent. Si le sujet était vraiment primordial pour eux, ils s’y seraient pris plus tôt.

La politique du gouvernement sur la recherche ne passe pas uniquement par la LPPR. Que retenez-vous de son action ?

Un dispositif mis en place par la loi Pacte est passé un peu inaperçu. Il permet aux chercheurs de créer une entité privée pour abriter une partie de leurs activités. Il s’agit d’une transformation des dispositifs mis en place par les lois Allègre. J’ai lu les rapports de la Cour des comptes sur ces dispositifs. Ils sont peu utilisés par les chercheurs. Ils ne veulent pas échapper aux règles de la fonction publique, ils veulent du temps et des moyens pour mener leurs travaux.

Ce n’est pas ce que dit le gouvernement qui veut contourner les concours de recrutement et créer des postes de chercheurs en CDI.

Je pense que ce gouvernement ne s’est pas posé certaines questions essentielles. Le concours de recrutement au CNRS est un concours hautement international. Des personnes du monde entier postulent, alors même que les salaires ne sont pas mirobolants et les conditions de travail se dégradent. Pourquoi ? J’ai demandé à des chercheurs étrangers pourquoi ils étaient venus en France. Ils viennent chercher la stabilité de l’emploi et la liberté académique. Ils veulent un cadre stable pour pouvoir prendre des risques. C’est quelque chose que le système anglo-saxon ne permet pas car tout est remis en cause tous les cinq ans pour chercher de nouveaux financements. Ce qui rend la France attractive, ce n’est pas le salaire, c’est le cadre.

Même si le projet n’est pas complètement présenté, on voit des réactions fortes de la communauté universitaire contre cette loi (lire ici ou ici). Est-ce que le gouvernement a peur, avec cette loi, d’ajouter un conflit universitaire au front social ?

Oui je pense. Le projet esquissé par ce gouvernement est dans la droite ligne de ce qui se fait depuis dix ans avec Valérie Pécresse et Geneviève Fioraso. Si les collègues réagissent fortement, c’est parce qu’ils voient bien cette continuité. Continuité dans la précarité, continuité dans l’idée que l’excellence naît de la concurrence. Tout ceci est délétère pour la recherche. Les récents prix Nobels et médaille Fields que la France a reçus, comme celle de Cécric Villani, sont les fruits du système mis en place dans les années 80. C’est ce système que l’on veut casser.

On a entendu aux 80 ans du CNRS Emmanuel Macron parler de l’évaluation des chercheurs…

Les chercheurs crèvent sous les évaluations. C’est sans fin ! Ce qui est vécu comme une injustice, c’est l’écart entre les évaluations auxquelles sont soumis les chercheurs et la faiblesse de l’évaluation du Crédit impôt recherche, qui s’élève tout de même à 6,5 milliards d’euros.

Ceci dit, on voit une fronde s’élever contre l’évaluation. On ne peut pas réformer la recherche sans les chercheurs. Une règle d’or académique postule que l’on soit évalué par ses pairs. S’ils décident de ne pas participer aux évaluations, le système s’effondre.

Quelles sont vos propositions pour la recherche française ?

Je pense qu’il existe un consensus autour de quelques points. La science française est en danger. Les salaires sont trop bas et les conditions de travail ne sont pas bonnes. Il faut augmenter la part du PIB consacrée à la recherche. Si nous ne le faisons pas, nous allons décrocher par rapport à nos voisins allemands notamment. Nous sommes un des rares pays où le nombre de doctorant diminue alors même que le nombre de bacheliers augmente. C’est un très mauvais signe. Il faut un engagement budgétaire fort.