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Les élections municipales auront lieu les 15 et 22 mars.© Frederic DIDES / Hans Lucas

Municipales : les soutiens opportuns de LREM

Alors que le Conseil d'État doit rendre son avis vendredi sur la circulaire Castaner, le parti de la majorité distribue ses soutiens aux candidats de droite.

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Accusée de vouloir occulter le résultat des petites communes en n'attribuant plus une étiquette politique aux maires des municipalités de moins de 9 000 habitants, soit 97 % des communes françaises, la circulaire concoctée par le ministre de l'Intérieur à la veille des municipales et envoyée aux préfets leur donne aussi une injonction curieuse, sur laquelle le Conseil d'État devra trancher, ce vendredi, pour dire s'il s'agit (ou non) d'un « tripatouillage ».

Habituellement, les listes déposées sont classées politiquement par la préfecture en fonction de l'orientation de la tête de liste, selon un nuancier précis. Y figurent les différents partis politiques, de même que les catégories « divers droite » ou « divers gauche », pour les candidats à la sensibilité marquée mais se voulant détachés des partis. Cette année, le ministère en crée une nouvelle : la catégorie « divers centre » (LDVC), attribuée aux listes qui auraient recueilli à la fois l'investiture de LREM et celle du MoDem.

Les artifices de la majorité

Mais la circulaire précise, curieusement, que cette catégorie « a également vocation à être attribuée aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MoDem, ni par l'UDI, seront soutenues par ces mouvements ». Plusieurs partis d'opposition ainsi que de nombreux chercheurs et politologues y voient un « artifice électoral » visant à gonfler artificiellement les prises d'En marche ! au soir de la présentation des résultats, des listes aux sensibilités de droite ou de gauche pouvant ainsi se retrouver, sans l'avoir décidé, dans l'escarcelle estampillée « majorité présidentielle ».

« C'est extrêmement étrange », relève Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po et ancien directeur du Cevipof. « Cette consigne n'est appliquée à aucune autre formation politique, elle ne vaut que pour LREM ! C'est une façon très claire de dégonfler les autres catégories “divers droite ou gauche” au profit de la majorité. Franchement, la manœuvre est un peu grosse ! » Et elle semble déjà fonctionner, du moins dans la présentation de certaines candidatures relayées par la presse.

Cette semaine, la commission nationale d'investiture de La République en marche a ainsi communiqué quelques noms de candidats officiellement investis par le parti dans une poignée de villes et une longue liste d'autres candidats simplement « soutenus ». Sur une vingtaine de noms, la moitié sont des personnalités de droite : Nathacha Bouchart à Calais, André Santini à Issy-les-Moulineaux, Pierre-André Périssol à Moulins, Benoist Apparu à Châlons-en-Champagne… Les voix qu'obtiendra ce dernier, qui a reçu le soutien non seulement de LREM, mais aussi de l'UDI, des Radicaux, du mouvement Agir, du MoDem, et bientôt de LR, seront-elles comptabilisées comme de droite (famille dont il se revendique) ou comme « divers centre » ? Comment seront comptabilisées celles du LR Pierre-André Périssol, « soutenu » lui aussi par LREM, qui ne présentera contre lui aucun candidat ? « On n'en sait rien », avoue son directeur de cabinet. « Je dois me renseigner… »

« Extrême maladresse »

L'attribution de la nuance relevant du seul préfet, représentant de l'État, « certains pourraient être tentés de faire du zèle », redoute Pascal Perrineau. « Ils peuvent me mettre là où ils veulent, je suis de droite et je le reste », balaye Benoist Apparu, qui voit dans cette polémique « un non-sujet. L'accord que j'ai passé avec En marche ! est très clair : j'ai aussi le soutien de LR. Maintenant, il est vrai que je pourrais me voir attribuer une étiquette de la majorité présidentielle… Et alors ? » Sur le terrain, l'opportunité d'éliminer un concurrent l'a parfois emporté sur les considérations nationales. Ce qui fait fulminer, à Paris, les cadres des partis, chez LR comme au PS, où les maires sortants de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ou d'Auxerre (Yonne) ont aussi reçu l'onction de La République en marche. « Je ne comprends pas cette démarche qui est d'une extrême maladresse », tranche Pascal Perrineau. « Et comment allons-nous faire, nous, politologues ? Comment va faire la presse quotidienne régionale ? Au lendemain de l'élection, les gens n'auront pas les résultats de leur commune, de leur département ? Avec le nouveau seuil imposé pour l'étiquetage politique, on invisibilise 48 % de Français, qui ont déjà le sentiment d'être invisibles. C'est d'une sottise… Et on crée pour les autres une confusion totale en tirant de grosses ficelles. Pour la première fois depuis la guerre, en mars, on ne saura pas où la France en est ! » Des considérations très politiques dont le Conseil d'État pourrait ne pas tenir compte, puisqu'il ne se prononce que sur la régularité juridique de la circulaire. Quelle que soit sa décision, elle risque de ne pas éteindre la polémique.