https://medias.liberation.fr/photo/1278179-les-dirigeants-arrivent-pour-la-photo-de-famille-du-sommet-de-l-otan-a-watford.jpg?modified_at=1575971536&width=960
Le président Emmanuel Macron, le président Donald Trump, la chancelière d'Allemagne Angela Merkel, arrivent au sommet de l'Otan à Watford le 4 décembre 2019.
Christian Hartmann / Pool / Bestimage

Otan en emporte le vent mauvais

Méditation chancelante d’un pacifiste à l’heure où l’Alliance atlantique part en quenouille et où l’armée retrouve des galons, par ces sales temps où l’émotion gagne.

by

Parfois, j’ai un peu honte de mon antimilitarisme continué. J’ai conscience que cette utopie fatiguée que je persiste à revendiquer n’a pu prospérer que sous la protection rapprochée de l’Alliance atlantique et grâce à l’imperium bourru des chiens de guerre américains. Les tourbillons qui emportent comme feuilles au vent les vieilleries de l’Otan qui fête malaisément ses 70 ans mettent la loupe sur les jeux de rôles assez hypocrites auxquels chacun a sacrifié et moi, le premier. Et je regarde avec incrédulité le parapluie en acier trempé se transformer en ombrelle trouée. A mesure que l’isolationnisme de Trump se précise, que la Turquie en fait à sa tête, zigouillant les Kurdes et épargnant les jihadistes et que Macron joue les médecins légistes au diagnostic abrupt avant d’avoir réussi à déployer un parasol de rechange.

L’Otan d’avant, c’était le bon temps ?

Je me souviens comme m’avait énervé la saillie de Mitterrand qui, avant la chute du Mur, avait fait valoir que les missiles étaient à l’Est et les pacifistes à l’Ouest. Le socialiste assez réaliste rappelait que l’URSS fourbissait ses armes tandis que la jeunesse du vieux continent avait des pudeurs de midinettes et des rêveries de paix perpétuelle empruntées à Kant. La gauche de gouvernement a d’ailleurs souvent eu la compréhension atlantiste et la fibre interventionniste. Chez Mitterrand, cela se manifesta au Koweït. Pour Hollande, au Mali ou en Syrie. Et il a fallu que ce soit la droite qui, par l’entremise de Chirac, gaulliste finissant, s’oppose à Bush en Irak. Pour compenser, Sarkozy alla jouer les va-t-en-guerre et les tambours- majors en Libye.

Au-delà de ces valses-hésitations, la France est longtemps restée sous emprise d’un patriarche strictement dominant, si l’on consent à utiliser un lexique en vogue. Le coquelet avait beau lisser les plumes de sa dissuasion nucléaire et cajoler le provincialisme de ses marchands de canon, il avait le cocorico fluet et le distinguo médiocre. Jusqu’à ce que la menace soviétique périclite, que la Chine s’éveille, que les bombes islamistes champignonnent. Et qu’Obama puis Trump tirent le tapis sous les pieds des alliés du passé. L’un en mode mineur, l’autre en twitto tonitruant. Aujourd’hui, l’Europe est à découvert. Et les pacifistes, mes frères, ne se sentent pas au mieux. Ils jouaient les petits chaperons rouges idéalistes et provocateurs, mais savaient pouvoir compter sur le soutien du grand méchant loup en cas d’agression au coupe-choux.

 L’armée, ce n’est plus ce que c’était ?

Je me souviens comme il était jouissif de se moquer des vieilles ganaches en uniforme, de se payer la tête des brutes galonnées et de faire valser les képis. L’armée représentait l’ordre borné, la soumission à petit doigt sur la couture du pantalon et l’arbitraire d’un commandement qui n’avait pas toujours été démocratiquement irréprochable. La Grande Muette était souvent de droite, et particulièrement tradi. Les adjudants faisaient danser les conscrits. Maxime Le Forestier chantait un Parachutiste assez fasciste. Et Cabu faisait de son Grand Duduche, un objecteur de conscience indolent. Tout ce folklore élimé n’alimente plus que la nostalgie des papy-boomers en préretraite. Le service militaire est aboli, l’armée s’est professionnalisée et délocalisée. Au lieu du clairon, les villes de garnison sonnent le creux. Aujourd’hui, c’est le maigrichon préfet de police de Paris qui s’invente en martiale figure d’autorité. Le chef d’état-major des armées, lui, s’éclipse du paysage, attaché à faire oublier le limogeage de son prédécesseur, le corporatiste François de Villiers. Et quand le pacha reproche à Charlie Hebdo d’outrager les militaires tombés au combat contre l’islamisme au Sahel, il le fait fort civilement. Surprise, Riss, le patron de l’organe de presse le plus irrespectueux qui soit, lui répond sur le même ton.

 Vers la paix des braves ?

Dans ce pays transi, le kaki n’a plus rien de rassis. Il porte en brassard la croix rouge des interventions dites humanitaires et se tient au garde-à-vous dans la cour des Invalides. Les décorations posthumes y griffent le bois des cercueils des morts pour une France qui a fait le deuil de son innocence. L’antimilitariste en moi ne sait plus quelle couleur hisser haut au mât des pavillons si ce n’est le souci du contrôle des ventes d’armes et la reprise en main du lobby militaro-industriel. Le pacifiste que je demeure s’interroge sur cette chimère de force européenne qui paraît aussi introuvable qu’une panthère des neiges et qui ne sera évidemment pas la panacée. Seul le non-interventionniste que je couve sous la cendre des drames incandescents sait que, sur le théâtre des opérations extérieures, l’enlisement est garanti et qu’il faut vite plier les gaules, après s’y être risqué en urgence. Sous peine de donner le bâton de maréchal pour se faire battre.