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«Chute des crânes de la colère», de Lucien Murat.
Photo Jean de Calan Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve

La pop-couture de Lucien Murat

Mélanges de points de croix et de pixels, les barbares du jeune artiste hackent la tradition de la tapisserie.

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La tapisserie et la broderie n’ont pas toujours été réservées aux tableaux bucoliques, aux scènes de chasse, aux mythologies religieuses ou aux saynètes kitchs des salons de grand-mère. Les épopées ont aussi été le sujet de cet art de l’aiguille dont les plus illustres exemples sont la tapisserie de Bayeux et, plus récemment, les récits de Star Wars et de Game of Thrones. Il faudra désormais ajouter l’œuvre de Lucien Murat, exposée pour la première fois à la galerie Suzanne Tarasieve. Lauréat en 2015 du prix Arte-Beaux-Arts magazine, passé par la Central Saint Martins à Londres, Lucien Murat ouvre la porte d’un monde textile où explose une barbarie jaillie de la pop culture. Dans ses compositions cataclysmiques, Megathésis, un abominable super-héros de son invention tout en muscles et armé jusqu’aux dents, affronte des ennemis qui ne sont autres que lui-même. Telle une hydre tentaculaire, le musclor fratricide, enfant de la déesse Vina, domine un paysage de points de croix et de pixels jusqu’à en faire craquer les contours, comme si les tapisseries, écrans textiles rétrofuturistes, vomissaient leurs particules élémentaires. L’artiste, aidé de sa mère qui assemble sur une machine à coudre dernier cri des matières douces (tissus peints, bouts de moquette, canevas en laine, patchs molletonnés), imagine des scènes de bûcher dignes des enfers, des mises à mort sous les crocs de cerbères et des combats au lance-flammes laser dont il faut apprécier l’humour sous l’outrance visuelle.

Né en 1986, Lucien Murat brasse les références au manga, au cinéma et au jeu vidéo et attise la fascination pour le mal de cette culture populaire : comment ne pas voir dans ses images des références au dessin animé Ken le Survivant, à la trilogie Mad Max ou au jeu Street Fighter ? Intitulée «One to rule them all», clin d’œil au Seigneur des anneaux de Tolkien, l’expo titille les ténèbres à l’heure où les figures du mal - tyrans, dictateurs, terroristes, informaticiens sans scrupule - menacent de gouverner le monde. Toute la force de ce travail, guidé par l’œil de Sauron, est de tisser un fil rouge, celui du sang et de la cruauté, entre les premières BD, les tapisseries du Moyen Age et celles d’aujourd’hui, fourmillant dans nos écrans.