Les peaux-arts de Katinka Bock
La sculptrice allemande a parsemé la Lafayette Anticipations de ses formes agiles et poreuses.
by Judicaël LavradorIl arrive qu’on se refasse une expo qu’on a vue seul et vierge de tout point de vue à l’aune des avis des autres, et en l’occurrence ceux des critiques de l’émission radiophonique la Dispute qui, sur France Culture, unanimes, firent mieux qu’étriller l’expo de Katinka Bock : ils mouchèrent le nez à l’artiste qui pend, à leurs yeux, «une crotte de nez» sous la verrière de la Lafayette Anticipations. On n’avait pas vu la chose de façon aussi peu ragoûtante, même si on comprend le rapport - la couleur vert-de-gris de la sculpture, sa consistance apparemment molle, ses rondeurs et sa taille, trop grosse pour ne pas être disgracieuse. Mais la grâce ni la laideur ne sont l’affaire de Katinka Bock dans cette pièce qui est conçue comme une espèce de réincarnation d’un bâtiment historique de la ville de Hanovre construit dans les années 20 pour être le siège de grands journaux allemands, et où des artistes modernes avaient leurs entrées. Au moment de sa récente restauration, Katinka Bock a récupéré les plaques de cuivre qui couvraient la coupole et en a fait la carapace de cette structure, sorte de cocon éventré ou de conduit de cheminée gondolée sous l’effet d’une chaleur trop intense.
Tout le travail de l’artiste dans l’expo est ainsi dépositaire d’histoires plus ou moins parties en fumée et dont il s’agit de recueillir les traces, les cendres, en leur offrant des réceptacles symboliques, aux formes dynamiques ou sereines. D’où le soin apporté au revêtement des sculptures. Leur surface peut prendre la consistance d’un empilement de feuilles de céramique formant comme une couverture jetée sur un «gisant» fantomatique, celle d’une plaque de cuir ramollie par la chaleur et l’humidité puis séchée pour envelopper un rocher, ou bien celle d’une coquille en grès, hérissée de pics comme un système de défense. Toutes ces peaux, lisses ou granuleuses, pleines de pelures ou de griffures, semblent amortir le contact avec l’extérieur de ces sculptures qui pourtant ne se replient pas sur elles-mêmes. Elles se fendent souvent de brèches par lesquelles on entrevoit leur intérieur. Elles se laissent traverser par les courants d’air. A l’image de cette silhouette, trapue, en bronze qui, perchée sur une poutre de Lafayette Anticipations, est munie à sa base d’une petite ouverture tandis que sa tête prend la forme encore d’un conduit d’évacuation.
Ces œuvres se veulent en somme des conductrices d’énergie, de flux, à commencer par celui des éléments (l’eau, le feu) qui ont participé à leur fabrication. L’accrochage à Lafayette hésite entre une occupation clairsemée des lieux et leur densification. Il y a beaucoup de pièces de tailles variées qui, posées ici et là, du sol au plafond, initient, un peu trop coquettement sans doute, un jeu de cache-cache avec le spectateur. Mais c’est là l’esprit de la sculpture de Katinka Bock : moucheter l’espace de formes vagues et fuyantes, agiles et poreuses, plutôt que d’imposer des blocs massifs et fermés au monde.