https://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/styles/w_838/public/styles/paysage/public/images/2019/12/arthur_dreyfuss_maxime_dufour_.jpg?itok=kUimW3Vm
Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms (FFT).
© Maxime Dufour

«Chacun doit avoir conscience de l’impact qu’aurait l’interdiction de Huawei», prévient la Fédération des télécoms

Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms, rappelle que l’équipementier chinois est présent en France depuis dix ans, avec les autorisations nécessaires. Sans poser de problème de cybersécurité

by

En avance technologiquement sur ses concurrents européens Ericsson et Nokia, Huawei est dans la ligne de mire de la France pour le déploiement de la 5G. Le décret d’application de la loi relative au contrôle préalable des équipements télécoms vient d’être publié. Arthur Dreyfuss, le président de la Fédération française des télécoms (FFT), livre son commentaire.

Huawei est l’éléphant dans la pièce des télécoms françaises. Le nom de l’équipementier chinois ne figure pas dans le décret d’application — enfin publié — de la loi visant à sécuriser les réseaux mobiles en vue de la 5G. Pas plus qu’il n’apparaît dans le texte législatif, voté cet été, et surnommé loi « anti Huawei ». Mais les champs d’application de la 5G suscitent des inquiétudes concernant la fiabilité de l’entreprise, bannie aux Etats-Unis. Et devenue en quelques mois le symbole de la rivalité technologique sino-américaine.

En début d’année, c’est par le biais d’un amendement à la loi Pacte que Bercy a d’abord tenté de renforcer les pouvoirs de l’Anssi (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) sur le contrôle des équipements télécoms. L’initiative est alors bloquée par le Sénat pour qui le sujet est trop complexe pour être traité par un simple amendement. L’Etat a donc fait voter une loi sans préciser publiquement sa position, ménageant la chèvre (américaine) et le chou (chinois) et renvoyant les opérateurs télécoms à leurs responsabilités. « Je ne suis jamais dans la stigmatisation de tel opérateur industriel ou de tel pays, » a récemment déclaré Emmanuel Macron en marge du sommet de l’Otan, tout en s’inquiétant de nos « vulnérabilités technologiques », ceci alors que le quart des antennes mobiles de l’hexagone est estampillé Huawei. Les non-dits étatiques exaspèrent les opérateurs télécoms, qui refusent d’assumer seuls les revirements stratégiques de la puissance publique.

Quelles clarifications vous apporte le décret d’application de la loi « anti Huawei » ?

Il confirme que nous ne savons toujours pas quels choix nous pourrons faire en matière d’équipementiers dans le cadre du déploiement de la 5G ! A ce stade nous n’avons pas reçu les éclaircissements attendus, or quand nous investissons, c’est pour dix ou quinze ans. Le texte prévoit que lors d’une demande d’autorisation préalable d’un équipement, « le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet ». Concrètement, le gouvernement a désormais tous les moyens pour interdire tel ou tel équipementier sans le nommer. Cela crée un environnement extrêmement instable, il est clair que nous ne pourrons pas assumer seuls les conséquences de ces interdictions.

Bercy fait savoir, par presse interposée, « qu’une antenne 5G dans la Creuse ce n’est pas la même chose que sur l’île Longue en face de Brest ». Huawei ne serait donc pas banni de toute la France ?

Je l’ai lu comme vous dans le journal ! Si c’est le cas, il faut nous le dire clairement ! Quand les Etats-Unis prennent une position sur Huawei, c’est une position publique, radicale, mais au moins connue de tous. Et quand les Etats-Unis prennent cette position publique, radicale et connue de tous, ils mettent en place un dispositif pour accompagner opérationnellement et financièrement les opérateurs qui auraient à pâtir de cette situation. L’Europe travaillerait sur des schémas similaires. Si un équipementier était interdit pour la 5G en France, des opérateurs seraient contraints de déconstruire puis de reconstruire tout ou partie de leur réseau 3G et 4G existant. On ne peut pas faire fonctionner une 5G Ericsson ou Nokia avec une 4G Huawei, et inversement, ce n’est techniquement pas encore faisable. Démonter, remonter des infrastructures c’est complexe, chronophage et coûteux. L’impact d’une éventuelle interdiction totale ou partielle d’un fournisseur serait considérable pour les opérateurs télécoms, mais aussi pour la transformation numérique du pays et pour l’ensemble de l’économie.

« Vous ne pouvez pas engager une phase d’investissements, et découvrir dans le journal que la doctrine de l’Etat évolue »

L’interdiction d’une 5G Huawei affecterait surtout Bouygues Telecom et SFR, dont près de la moitié des antennes mobiles sont chinoises…

L’ensemble des opérateurs qui va investir des sommes colossales dans la 5G a besoin de savoir dans quel environnement il va évoluer. Vous ne pouvez pas engager une phase d’investissements, et découvrir dans le journal que la doctrine de l’Etat évolue. Par ailleurs, si Huawei était de facto amené à disparaître du marché, les négociations commerciales avec Ericsson et Nokia auraient lieu sur une base très différente. On peut évidemment imaginer que les prix augmenteraient pour tout le monde. Enfin, une fois cette brèche ouverte sur les équipements mobiles en France, quelle sera la position de l’Europe ? Huawei est présent dans le fixe ou le mobile dans toutes les autres capitales européennes, y compris Bruxelles. Qui peut totalement exclure que les autres équipements Huawei, tout aussi stratégiques, ne seront pas un jour concernés par des régimes d’interdiction ? Tous les opérateurs européens commercialisent des smartphones Huawei ou utilisent ses équipements dans les réseaux fixes.

Quelle est la marge de manœuvre de la Fédération française des télécoms ?

Nous demandons que les règles soient clarifiées avant le lancement des enchères sur les fréquences 5G, pour lesquelles les opérateurs vont signer un chèque important. Ils sont déjà confrontés à la concurrence déloyale des Gafa sur un marché français où les prix des télécoms sont les plus bas d’Europe. Le « new deal mobile » conclu avec le gouvernement les conduit à investir une dizaine de milliards d’euros par an pour régler le problème des zones blanches et déployer la fibre. Huawei est présent en France depuis dix ans avec les autorisations nécessaires. Et nous n’avons jamais rencontré de problème de cybersécurité avec aucun des équipementiers présents sur le territoire. Nous avons parfaitement conscience des enjeux de sécurité nationale, nous sommes le premier partenaire de l’Etat en matière de sécurité des réseaux télécoms. Nous demandons simplement que chacun ait pleinement conscience de l’impact économique et stratégique qu’aurait l’interdiction de Huawei sur le territoire. Et que chacun assume les conséquences d’une telle interdiction.