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Dirigée par Jerome Powell, la Réserve fédérale maintiendra vraisemblablement ses taux à un niveau stable lors de sa réunion de mardi et mercredi.
© Sipa Press

Pour lutter contre la prochaine récession, la politique monétaire ne pourra se passer de la politique budgétaire

Les outils post-crise de la Fed auront moins d’effets si les rendements obligataires à long terme sont déjà bas

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Le déficit budgétaire fédéral américain a récemment dépassé les 1 000 milliards de dollars. Lors de la prochaine récession, ne soyez pas surpris si ce chiffre atteint les 2 000 milliards.

Au cours des décennies ayant suivi la préconisation par l’économiste britannique John Maynard Keynes de hausses de dépenses publiques agressives pour lutter contre la Grande Dépression, Washington a pris l’habitude d’injecter des liquidités dans l’économie en réduisant les taux d’intérêt, les impôts ou en augmentant les dépenses lorsqu’une récession frappait.

La banque centrale maintiendra vraisemblablement ses taux à un niveau stable lors de sa réunion de mardi et mercredi, après les avoir réduits trois fois cette année afin de protéger l’économie d’un ralentissement de la croissance mondiale amplifié par la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Ce n’est pas un scoop de dire que la Réserve fédérale possède désormais moins de marge de manœuvre pour combattre une éventuelle récession via la réduction de son taux d’intérêt de référence. Au cours des trois derniers ralentissements, la banque centrale a abaissé ce taux d’au moins cinq points de pourcentage. La Fed ne pourrait plus le faire aujourd’hui parce que ce taux se situe entre 1,5 % et 1,75 % et qu’il est peu probable qu’il augmente bientôt.

Ce qui est moins connu, c’est que les outils non conventionnels que la Fed a déployés pour stimuler l’économie après la crise financière de 2008 — les achats d’obligations et ce qu’on appelle les forwards guidance (NDLR : sa communication sur l’évolution probable de sa politique monétaire) sur ses projets relatifs au maintien de taux d’intérêt à des niveaux très bas pendant beaucoup plus longtemps que prévu par les investisseurs — n’auront probablement pas la même capacité à stimuler la croissance au cours du prochain ralentissement.

« Vous pouvez utiliser ces outils jusqu’au bout, mais ils fonctionnent principalement via un seul canal — en abaissant les taux d’intérêt à long terme », explique David Wilcox, ancien chef de la division recherche et statistique de la Fed. « Les taux d’intérêt à long terme sont déjà trop bas par rapport à leurs niveaux historiques pour que les autres outils soient pleinement susceptibles de donner le coup de boost nécessaire pour contrecarrer la prochaine récession, peu importent les pressions qu’exerce sur eux la Fed. »

Le vice-président de la Fed, Richard Clarida, a attiré l’attention sur ce problème dans un discours prononcé le mois dernier. La réussite rencontrée par les différents acteurs mondiaux et la Fed pour maintenir l’inflation à un niveau bas et stable a contribué à faire diminuer les rendements à long terme, a-t-il analysé.

Le rendement des bons du Trésor à dix ans oscillait autour de 1,75 % ces dernières semaines — et il s’est établi que très rarement au-dessus de 3 % lors de la décennie en cours. Après les deux dernières récessions, ce rendement a, respectivement, reculé d’environ 3,6 et 3,9 points de pourcentage.

« J’avoue qu’il est très peu probable que les rendements des bons du Trésor américain à dix ans chutent avec la même ampleur lors de la prochaine récession, quel que soit le moment où elle se produira », a déclaré M. Clarida.

La Fed réduit les taux lorsque la croissance économique est faible dans le but d’encourager les entreprises et les ménages à investir ou à dépenser. Dans les années qui ont suivi la crise financière, alors que les taux à court terme étaient proches de zéro, les autres outils de la Fed ont prioritairement été utilisés pour faire baisser les taux à long terme, ce qui a facilité le remboursement des dettes des ménages et encouragé les emprunts et la prise de risques.

La communication sur l’évolution probable de la politique monétaire a été efficace parce que les investisseurs et le grand public n’avaient pas compris dès départ dans quelle mesure la Fed avait prévu de maintenir ses taux à court terme à des niveaux très bas pendant beaucoup plus longtemps qu’elle ne l’avait fait à la suite des ralentissements précédents.

Lors du prochain retournement économique, « cela n’aura pas la même efficacité que lorsque c’était tout nouveau, et que les gens n’avaient tout simplement pas compris », avait déclaré, en 2016, l’économiste Jon Faust, lors d’une conférence à la Brookings Institution. M. Faust est actuellement un des conseillers principaux du président de la Fed, Jerome Powell.

Qu’en est-il du côté de la Fed ? Ces responsables sont engagés depuis un an dans un examen de leur boîte à outils destinés à lutter contre une récession. Ils sont également en train d’évaluer les changements apportés à leur stratégie de ciblage de l’inflation à 2 % afin de voir comment ils pourraient donner des marges de manœuvre à la politique monétaire.

Une option qui fait l’objet d’une étude attentive — et récemment préconisée par le gouverneur de la Fed, Lael Brainard — serait d’expérimenter le plafonnement des rendements des titres du Trésor à court et à moyen terme.

Au lieu d’acheter des quantités annoncées à l’avance d’obligations et d’autres titres, comme la Fed l’a fait entre 2008 et 2013, ses responsables s’engageraient d’emblée à acheter la quantité de valeurs mobilières nécessaire pour maintenir les taux aux niveaux souhaités jusqu’à ce qu’ils atteignent leurs objectifs en matière d’inflation et d’emploi.

Quoi qu’il en soit, de nombreux économistes affirment que la politique budgétaire devra jouer un rôle plus important. « La Fed va avoir les mains liées dans le dos pour lutter contre la prochaine récession », décrypte M. Wilcox, qui travaille maintenant au Peterson Institute for International Economics.

En l’absence de concours supplémentaire venant de la politique budgétaire, « les récessions seront plus profondes et plus longues qu’elles ne l’auraient été dans les circonstances qui ont prévalu sur la période qui s’étend depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à maintenant », précise-t-il.

Dans son témoignage devant le Congrès le mois dernier, M. Powell l’a tacitement reconnu. Mais lui et d’autres responsables de la Fed se sont montrés réticents à offrir une description normative des mesures qui pourraient être nécessaires.

Les responsables de la Fed sont réticents par crainte de brouiller la séparation traditionnelle entre la politique budgétaire — fruit de débats souvent très politisés au Congrès et à la Maison Blanche — et la politique monétaire, que la Fed tente de tenir en dehors des considérations partisanes.

Mais le manque d’outils dont dispose la Fed fait qu’il devient important, selon certains économistes et anciens banquiers centraux, que les décideurs politiques discutent désormais au grand jour de ce à quoi pourraient ressembler les éléments d’une éventuelle coordination.

« Quoi qu’il arrive, lorsque le prochain ralentissement se produira, nous serons poussés vers une direction où il y aura un brouillage entre autorités budgétaires et monétaires », assure Jean Boivin, ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada qui travaille maintenant pour la société de gestion d’actifs BlackRock.

Aborder cette question maintenant aiderait à en minimiser les difficultés dans un contexte d’urgence économique et pourrait redonner confiance aux investisseurs dans le fait que la politique puisse encore avoir un certain pouvoir pour lutter contre la récession.