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Au fil des mois, Nicolas Maduro a fait le dos rond et l’élan portant Juan Guaido s’est essoufflé, avec l’échec des tentatives de l’opposition pour renverser les militaires et le leader vénézuélien
© Sipa Press

Venezuela : pourquoi Nicolas Maduro est sorti renforcé des tentatives de renversement

Le dirigeant vénézuélien tient bon, alors que l’économie sinistrée s’améliore légèrement, et que l’opposition, soutenue au niveau international, s’effondre

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En janvier, l’administration Trump avait prédit la chute imminente du président vénézuélien. Nicolas Maduro luttait alors contre une opposition pleine d’énergie, des sanctions pétrolières américaines qui l’affaiblissait et un isolement international après que des dizaines de nations avaient proclamé son leadership illégal.

Aujourd’hui, M. Maduro semble fermement tenir la situation en mains. L’opposition est aux prises avec un scandale de corruption et ses tentatives pour relancer les manifestations de rue se sont révélées vaines. L’économie vénézuélienne, en crise, montre, elle, de légers signes d’amélioration. Et, en Amérique latine, les gouvernements font face à des troubles politiques internes, détournant l’attention des tentatives internationales, il y a quelques mois dynamiques, visant à chasser du pouvoir l’homme fort vénézuélien.

« Cela fait probablement des années que Maduro ne s’était senti aussi bien dans sa peau », déclare Fernando Cutz, un ancien responsable du Conseil national de sécurité américain qui a travaillé sur la politique menée envers le Venezuela. « Je suis moins optimiste qu’au cours de ces trois dernières années. Je ne vois aucune raison de prévoir que 2020 apportera des changements positifs pour le peuple vénézuélien.

Ces perspectives plus encourageantes pour M. Maduro soulignent les difficultés que connaissent les Etats-Unis et leurs alliés pour évincer un dirigeant qui contrôle les forces armées et la police et n’hésite pas à y avoir recours pour réprimer l’opposition. Elles soulignent également l’optimisme excessif de l’administration Trump et ce que les détracteurs de la politique américaine considéraient comme des attentes irréalistes, à savoir que les moyens de pression employés pourraient facilement forcer M. Maduro et ses lieutenants à quitter le pouvoir.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Le 23 janvier, Juan Guaido, le chef de l’Assemblée nationale contrôlée par l’opposition, s’était déclaré président par intérim. En quelques jours, les Etats-Unis et des dizaines de pays l’ont reconnu comme le président légitime du Venezuela face à M. Maduro, un dictateur de gauche accusé d’avoir été réélu par des moyens frauduleux en 2018.

« Nicolas Maduro est un dictateur dont les prétentions au pouvoir sont illégitimes, et Nicolas Maduro doit partir », avait déclaré le vice-président Mike Pence en avril. Au lieu de cela, au fil des mois, M. Maduro a fait le dos rond et l’élan portant M. Guaido s’est essoufflé, avec l’échec des tentatives de l’opposition pour renverser les militaires et le leader vénézuélien. En septembre, un des plus ardents adversaires de M. Maduro aux Etats-Unis, John Bolton, a été mis sur la touche. L’ancien conseiller à la Maison Blanche pour la sécurité nationale avait déclaré en août aux dirigeants latino-américains que M. Maduro était « au bout du rouleau ».

En octobre, l’Amérique latine a été secouée par de violentes manifestations en Equateur, au Chili et en Bolivie, ce qui a permis à M. Maduro de détourner les regards vers toute cette agitation, faisant passer au second plan sa mauvaise gestion au Venezuela et les pénuries chroniques de nourriture et de médicaments qu’elle a provoquées.

L’économie vénézuélienne, dont le Fonds monétaire international prévoyait qu’elle se contracterait de 35 % cette année, fonctionne désormais un peu moins mal. Les exportations de pétrole brut ont atteint 935 000 barils par jour le mois dernier, contre 637 500 en septembre, selon le site Web TankerTrackers.com, alors que des navires pétroliers accostent au Venezuela malgré les sanctions américaines destinées à paralyser un secteur vital pour le pays.

Le gouvernement a cessé d’appliquer le contrôle des prix et des devises et a assoupli les restrictions sur les importations. L’économie reçoit un coup de pouce de la part des quatre millions d’émigrés qui ont fui depuis 2015 et qui envoient maintenant des milliards de dollars par an à leurs familles restées au pays. Le gouvernement a discrètement permis à la dollarisation de l’économie de s’installer, et de nombreux consommateurs ont la chance de posséder des billets verts qu’ils peuvent maintenant dépenser sans encombres.

« Il y a un redémarrage », déclare Osman Bolivar, un homme d’affaires du secteur des télécommunications basé à Valence qui a vu les ventes augmenter de 35 % dans ses magasins au cours des deux derniers mois. « Cent pour cent des produits que nous vendons le sont en dollars. »

M. Bolivar déclare que l’économie reste sinistrée et qu’il ne prévoit pas d’améliorations majeures à moins qu’il n’y ait un changement politique – une perspective qui s’éloigne, selon lui.

« Nous nous sommes adaptés pour survivre, dit-il dit. Ce que Guaido propose n’est qu’un rêve. »

Elliott Abrams, le principal envoyé spécial des Etats-Unis pour le Venezuela, assure qu’il est « tout à fait faux » de dire que la situation s’améliore pour M. Maduro, ou que l’opposition est en perte de vitesse. M. Abrams souligne la baisse globale de la production pétrolière cette année, la persistance de la crise humanitaire et les récentes manifestations antigouvernementales. Il note que les pays occidentaux se sont récemment mis d’accord sur des sanctions contre les responsables vénézuéliens pour accroître la pression sur M. Maduro.

« Si la situation se stabilisait, la Russie et la Chine prêteraient plus d’argent au régime, en étant certains qu’il pourrait les rembourser », déclare M. Abrams au Wall Street Journal. « Au lieu de cela, ils travaillent en ce moment d’arrache-pied à récupérer leur argent, et n’engagent pas de nouveaux capitaux au Venezuela, parce qu’ils savent que la situation du régime est très précaire. »

Au sein de l’opposition, cependant, un scandale de corruption provoque actuellement des luttes intestines et sape ses prétentions à être une véritable alternative au régime de M. Maduro. Plus tôt au cours du mois, le site d’information vénézuélien Armando.info a rapporté que des parlementaires de l’opposition, en échange de pots-de-vin présumés, avaient fait pression en faveur d’un homme d’affaires visé par une enquête en Colombie pour ses liens présumés avec le programme alimentaire du gouvernement vénézuélien, entaché de corruption.

Les neuf élus, membres d’un comité de surveillance parlementaire, auraient écrit des lettres soutenant l’homme d’affaires au bureau du procureur général de Colombie, en charge de l’enquête. Selon le site Web, l’homme a des liens avec Alex Saab Moran, un homme d’affaires colombien inculpé en juillet par les Etats-Unis pour avoir blanchi de l’argent au niveau mondial, en détournant pour le compte du régime vénézuélien au pouvoir des centaines de millions de dollars de fonds publics vers des comptes étrangers.

L’avocat colombien de M. Saab n’a pas répondu aux demandes de commentaires. M. Saab a déjà nié ces allégations de corruption.

« Tout cela renforce vraiment Maduro, déclare David Smilde, chercheur spécialiste du Venezuela à l’Université de Tulane. Nous assistons à l’effritement de l’unité de l’opposition, qui s’était mise en place depuis janvier dernier. »

Les parlementaires du Parti socialiste de M. Maduro et les puissants alliés du président ont raillé l’opposition à propos de ce prétendu trafic d’influence.

« Personne n’est clean dans cette affaire de corruption dans l’opposition », a écrit sur Twitter Diosdado Cabello, un haut responsable vénézuélien. « Ils vont s’accuser les uns les autres, c’est un groupe de mercenaires politiques. Ça commence à sentir bon, et nous sortirons victorieux. »

M. Guaido a suspendu de leurs responsabilités parlementaires les élus suspectés, et a également ouvert une enquête sur les faits qui leur sont reprochés. « Notre société doit dire “ça suffit” », a-t-il dit, à propos de la corruption. « En tant que représentants de l’Etat ayant juré de protéger le peuple vénézuélien, nous ne pouvons pas permettre ça. »

Luis Vicente Leon, sondeur et analyste politique vénézuélien de premier plan, déclare que le scandale va à coup sûr saper la confiance dans une opposition maintenant démoralisée, et faire baisser encore davantage la cote de popularité de M. Guaido, qui a déjà chuté d’environ vingt points depuis le début de l’année, pour s’établir à 40 % avant que le scandale éclate en octobre.

« Il n’y a aucune chance que cela n’ait pas un impact politique négatif, dit-il. La question est de savoir à quel point cet impact sera profond. On ne peut pas dissocier l’image de l’opposition de celle de son principal leader. »

Jessica Donati à Washington a contribué à cet article