« L'offrande grecque » : Philip Kerr, label hellène
by Thierry GandillotEn 1956, l'agenda de Bernie Gunther avait été plus que chargé. La Stasi est-allemande et le SIS britannique avaient retrouvé et coincé le légendaire commissaire de la police berlinoise d'avant-guerre, compromis malgré lui avec les nazis, devenu gardien de nuit dans un hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat. De force, ils l'avaient embringué dans une affaire d'espionnage dont la figure centrale n'était autre que Somerset Maugham (« Les Pièges de l'exil »). Puis la Stasi l'avait envoyé en Angleterre, muni d'un flacon de thallium, redoutable poison chéri par le KGB, afin de commettre un assassinat. Mais Bernie avait réussi à fausser compagnie à ses « anges gardiens » est-allemands, direction l'Allemagne de l'Ouest (« Bleu de Prusse »).
Munich, 1957. Toujours soucieux de se faire oublier, Bernie Gunther est préposé à la morgue d'un hôpital sous le nom d'emprunt de Christof Ganz. Fini les ennuis ? Pas sûr... Démasqué, malgré sa barbe et sa nouvelle identité, il est contraint d'entrer au service de la puissante compagnie d'assurances Munich Ré, dont l'attitude sous le Troisième Reich ne fut pas des plus exemplaires - c'est un euphémisme.
Pour sa première mission, on l'envoie en Grèce où un bateau, chargé d'antiquités, appartenant à un ancien soldat de la Wermacht a coulé. Il découvre vite qu'en réalité le véritable propriétaire du bateau est un Grec juif déporté à Auschwitz. Bernie, qui connaît comme personne l'histoire de ce Reich maudit qui lui a pourri la vie et vérolé la conscience, n'ignore rien de la déportation de 60.000 Juifs de Thessalonique. Et surtout de leur or volé, fondu et... volatilisé. Ajoutons à cela la présence furtive à Athènes, en 1957, d'un certain Aloïs Brunner, responsable de la déportation des juifs de Thessalonique - c'était avant qu'il prenne la direction du camp de Drancy. Décidément, il y a un passé qui ne passe pas...
Leçon de géopolitique
« L'Offrande grecque » est la treizième et avant-dernière aventure de Bernie Gunther signée Philip Kerr, décédé en 2018, à l'âge de soixante-deux ans. Il n'est pas sûr que le roman plaise aux Grecs qui en prennent plus que pour leur grade. Pour le reste, Bernie Gunther se fait moins tabasser que d'habitude et, en dépit de son âge, continue d'emballer des jeunesses. L'intrigue sophistiquée ménage ses surprises jusqu'au final. C'est aussi, une fois de plus, une leçon de géopolitique historique qui renvoie la tragique extermination des Juifs de Thessalonique à la tentative de réconciliation européenne menée par Conrad Adenauer. « Efcharisto », Mr. Kerr.