Quand la Cour des Comptes « balance » le Conseil de l’Ordre

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C’est une charge au bazooka que lance la Cour des Comptes dans son rapport sur le Conseil de l’Ordre des Médecins révélé ce lundi ! Près de 200 pages bien tassées qui dressent un panorama dramatique de la situation et qui démontrent que l’Ordre remplit mal, ou pas du tout, « la mission de service public » qui est la sienne. Et ce, malgré trois contrôles antérieurs qui ont, tous, pointé les mêmes dérives (l’IGAS en 2000, cette même Cour en 2011, et la mission des juridictions administratives en 2013).

Dès la première page du rapport, le ton est donné : « sa gestion est caractérisée par des faiblesses, voire des dérives préoccupantes, son fonctionnement n’est pas suffisamment modernisé, des missions importantes qui justifient son existence sont peu ou mal exercées ». Fermez le ban, tout est dit.

Premier reproche : les membres du Conseil National ont beau être bénévoles, cela ne les empêche pas de s’octroyer des émoluments pour le moins conséquents…  9 177 euros bruts mensuels pour le Président, 8 211 euros pour le Secrétaire Général, soit au total plus d’un million d’euros pour les seize membres du Conseil en 2017 – sans compter les frais dont les justifications sont « parfois incertaines, voire inexistantes » note la Cour.

L’ensemble des salariés du Conseil (128) n’a d’ailleurs pas à se plaindre, puisque les dépenses en personnel ont augmenté de 58% entre 2011 et 2017. A ce sujet, la Cour estime qu’« il convient de mettre fin définitivement à la pratique des recrutements favorisant les liens familiaux ». Qu’en termes choisis…  D’autant qu’avec une cotisation annuelle obligatoire pour chaque médecin élevée (335 euros), l’Ordre dispose de réserves financières coquettes : plus de 150 millions d’euros, soit deux années de cotisations de l’ensemble des professionnels ! Quelque peu espiègle, la Cour suggère d’ailleurs dans ses recommandations d’utiliser ces excédents pour baisser les cotisations.

Plus globalement c’est l’ensemble des comptes à tous les niveaux (national, régional et départemental) qui ne sont pas correctement tenus. Ici, ce sont des écritures comptables « délibérément faussées ». Là, c’est un patrimoine immobilier largement « sous-évalué » à travers « des dizaines de SCI créées, financées et détenues » par les Conseils départementaux à la place du Conseil National. Plus du tiers de ces mêmes Conseils ont été incapables de fournir à la Cour la totalité des documents demandés. Sans même s’attarder sur le cas de l’un deux, qui a détruit volontairement toute sa comptabilité juste avant le passage de la Cour.

Et s’il n’y avait que l’aspect financier… En réalité, c’est la raison d’être même du Conseil que remet en cause la Cour dans son rapport. Le respect des obligations de formation continue par les médecins ? L’Ordre ne le vérifie pas. Le respect des règles déontologiques ? Pas davantage. Et la Cour de pointer le cas de ce professeur, chef de service dans un CHU, qui a reçu 726 000 euros en deux ans des laboratoires pharmaceutiques sans que l’Ordre ne s’en émeuve le moins du monde.

Mais il y a plus grave encore : depuis des années (je serais tenté de dire depuis toujours), l’Ordre fait preuve, en général, d’une scandaleuse mansuétude envers un médecin lorsqu’un patient signale un comportement inapproprié – quand il n’est pas tout simplement fautif et susceptible de poursuites. Impartialité, conflits d’intérêt, réticence à transmettre ces plaintes, la liste des insuffisances du Conseil sur le sujet est longue, et la Cour ne se prive pas de rappeler que « l’intérêt des patients est souvent négligé ». Elle se paye même le luxe de « suggérer » à l’Ordre de s’inspirer des exemples étrangers, le Royaume-Uni notamment où l’équivalent du Conseil est dirigé à parité par des médecins et des non-médecins ! On n’ose imaginer la bronca en France si une telle réforme était imposée…

Dans ces conditions, l’Ordre peut toujours « s’indigner contre cette grave insinuation selon laquelle il manifesterait une mauvaise volonté à ce qu’il puisse être donné des suites disciplinaires aux plaintes reçues », dans un communiqué de presse rédigé le même jour. Il serait plus crédible en rendant publiques ses décisions. Et en donnant le nom des médecins radiés ou suspendus temporairement. Mais il s’en garde bien. Qu’il n’aille pas s’étonner, ensuite, que la suspicion règne et que son image soit si mauvaise dans le grand public. Il en porte, pour une large part, la responsabilité.