biotechnologie
Une année après, le fiasco des bébés génétiquement modifiés
Fin 2018, le chercheur chinois He Jiankui annonçait avoir utilisé la méthode d’édition du génome CRISPR-Cas9 sur des embryons humains, une procédure largement décriée. Selon de nouvelles révélations, la procédure n’a pas eu l’effet escompté et a introduit des mutations imprévues
by Marc GozlanSouvenez-vous: le 28 novembre 2018, lors d’un symposium scientifique à Hongkong, le biophysicien chinois He Jiankui, de l’Université de Shenzhen, annonçait la naissance de deux bébés génétiquement modifiés grâce à l’outil d’édition du génome CRISPR-Cas9. Cette expérience avait entraîné la réprobation de l’ensemble de la communauté scientifique internationale. Une année plus tard, on apprend que l’expérience, caractérisée par de nombreux manquements éthiques, s’est probablement soldée par un échec.
Lors de sa présentation à Hongkong, He Jiankui avait prétendu avoir utilisé CRISPR-Cas9 sur les embryons de jumelles, afin d’introduire dans leur génome une certaine mutation du gène CCR5 qui, lorsqu’elle est présente sur les deux copies (héritées des deux parents), confère une résistance naturelle au virus du sida (VIH). Cette expérience visait à conférer une résistance au VIH durant toute la vie à ces «bébés CRISPR», dont les pseudonymes étaient Lulu et Nana.
Réalisée dans le cadre d’une fécondation in vitro (FIV) pour un couple dont le père était infecté par le VIH, cette manipulation génétique sur des embryons humains a été largement décriée. Elle n’a en effet aucune justification médicale dans un tel contexte, dans la mesure où il est possible de recourir au «lavage de sperme» pour éviter la contamination par le VIH des spermatozoïdes. Ce qui a d’ailleurs été effectué par l’équipe chinoise avant d’utiliser le sperme du mari.
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Résistance non démontrée
Le 3 décembre dernier, le magazine américain MIT Technology Review a consacré trois longs articles à cette affaire, révélant notamment des extraits du manuscrit que le chercheur chinois a envoyé à la revue Nature une semaine avant l’annonce de Hongkong. Revue qui a refusé de le publier. L’article a ensuite été soumis à publication au JAMA, le journal de l’Association médicale américaine, qui diffère encore sa décision.
Il ressort de ces documents que l’expérience n’a sans doute pas atteint le but escompté. Les chercheurs chinois indiquent qu’un seul embryon a intégré une mutation sur les deux copies du gène CCR5. Ils estiment que cela confère une résistance complète à l’infection par le VIH, mais rien n’indique que cela soit le cas. En effet, il aurait fallu que les chercheurs réalisent la même manipulation génétique sur des cellules immunitaires pour savoir si elles sont effectivement devenues résistantes au VIH. Surtout, l’article ne comporte aucune indication d’une telle vérification après la naissance des bébés. L’acquisition d’une résistance au VIH n’a donc en aucun cas été démontrée.
Il semblerait que les parents aient été contraints d’accepter la procédure CRISPR, seule possibilité pour eux de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation
En outre, les jumelles ont acquis des mutations à d’autres endroits du génome que celui désiré. Cela n’est pas une surprise dans la mesure où l’outil CRISPR-Cas9 n’est pas précis à 100%. Il lui arrive de modifier le génome en introduisant des mutations inattendues, dites «hors cible» car situées à distance du gène visé. On ignore quelles pourraient être les conséquences délétères de ces mutations pour les jumelles. C’est une des raisons pour lesquelles la communauté scientifique internationale estime depuis 2015 qu’il est irresponsable d’utiliser l’outil CRISPR pour induire dans des embryons humains, ou dans des cellules germinales (ovule, spermatozoïde), des modifications génétiques qui seraient transmissibles aux générations suivantes.
Falsification et contrefaçon
Au vu des données ADN des cellules du sang de cordon ombilical, du cordon lui-même et du placenta, il s’avère que ces cellules analysées après la naissance ne sont pas toutes porteuses de la mutation introduite. Seule une partie des cellules des embryons pourrait par conséquent avoir acquis une résistance au VIH. Si tant est qu’une résistance ait pu être conférée, celle-ci ne serait donc que partielle. Tout cela laisse à penser que les jumelles Lulu et Nana proviennent d’embryons qui sont des mosaïques sur le plan génétique, estime Kiran Musunuru, professeur de génétique à l’Université de Pennsylvanie et signataire d’un éditorial dans la MIT Technology Review.
Par ailleurs, la date de naissance des jumelles semble avoir été falsifiée. Elles seraient nées en octobre 2018 et non en novembre, alors que le chercheur chinois n’a enregistré son expérience dans le registre chinois des essais cliniques humains que le 8 novembre 2018. Il semblerait enfin que les parents aient été contraints d’accepter la procédure CRISPR, seule possibilité pour eux de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation, l’infection au VIH empêchant un couple d’avoir accès à ce type de prise en charge en Chine.
De nombreuses zones d’ombre demeurent. Aucun médecin ne figure parmi les dix signataires de l’article soumis à Nature. Les chercheurs ayant procédé à l’injection du système CRISPR-Cas9 dans des ovocytes, puis au transfert dans l’utérus maternel de deux embryons fécondés in vitro, ont-ils communiqué ces informations à leurs confrères obstétriciens? La FIV a-t-elle été réalisée dans l’hôpital même où la mère a accouché? L’article ne précise aucun de ces points.
Alors qu’il mentionne que le comité d’éthique hospitalier avait donné son accord en mars 2017 et avait été tenu régulièrement informé de la poursuite des travaux, les autorités chinoises ont déclaré en janvier 2019 que He Jiankui aurait contrefait le certificat d’évaluation éthique du protocole. La MIT Technology Review raconte encore que le chercheur, assigné à résidence, n’a plus accès à son laboratoire depuis décembre 2018 et que les membres de son équipe ont été disséminés aux quatre vents.
Pour compléter: Des scientifiques réclament l’interdiction des outils d’édition du génome sur les embryons