https://www.challenges.fr/assets/img/2012/12/18/cover-r4x3w1000-5dee72e4c5dce-bmw-celebre-40-ans-de-recherches-sur-la-voiture_36.jpg
Mini électrique Image © BMW

La Commission européenne lance-t-elle l'Europe de batteries électriques trop tardivement?

La Commission européenne a validé ce lundi le projet d’intérêt européen commun sur les batteries. Pour tenter de battre en brèche le quasi-monopole asiatique.

Vive l’Europe des batteries! La Commission européenne a validé ce lundi 9 décembre le projet d’intérêt européen commun sur les batteries. "C’est une bonne nouvelle pour l’emploi, mais aussi pour la souveraineté économique et technologique européenne. Toutes les conditions sont maintenant réunies pour faire naître la filière batteries électriques en France et en Europe", s’enthousiasme le ministère de l'Economie. Une réelle avancée? Il reste encore beaucoup à faire pour concrétiser le projet d’origine franco-allemande –qui rassemble aussi la Belgique, la Finlande, l’Italie, la Pologne et la Suède. Le 13 février dernier, le président de la République annonçait, à l’occasion des cent ans de l’OICA (Organisation internationale des constructeurs automobiles), 700 millions d’euros sur cinq ans amenés par l’Etat français. Ce sera finalement 960 millions. L’Allemagne doit mettre de son côté 1,25 milliard. Une aide de 3,2 milliards d'euros pour développer une filière européenne des batteries électriques est prévue au total. Laquelle devrait engendrer 5 milliards d'euros supplémentaires en investissements privés.

Emmanuel Macron ajoutait: "Je ne peux pas être heureux que 100% des batteries en France soient produites en Asie!" Fomenter la voiture électrifiée risque en effet de faire basculer 40% de la valeur ajoutée des voitures vers l’Asie, comme le dénonce régulièrement Carlos Tavares, président de PSA. Le constructeur achète en effet ses batteries au chinois CATL (modèles électriques) et au coréen LG Chem (hybrides rechargeables). Renault (actionnaire de Challenges) acquiert les modules également chez LG Chem. Yann Vincent, directeur industriel de PSA, reconnaît que le monopole de deux ou trois fabricants asiatiques est extrêmement dangereux. "L’oligopole asiatique de production de batteries est un problème", souligne-t-on à Bercy.

Mainmise asiatique

L’annonce fin 2017 d’un projet du japonais Toyota de collaboration avec son compatriote Panasonic pour développer des batteries lithium-ion de nouvelle génération accentue l'emprise des Asiatiques sur les batteries, qui représentent plus du tiers du coût d’une voiture électrique. Un marché dominé par les japonais Nissan et NEC, les coréens Samsung et LG Chem et les chinois CATL, BYD, Lishen, Wanxiang, BAIC. "La moitié des capacités mondiales des batteries se trouvent en Chine, et bientôt ce sera les deux tiers", constate Laurent Petizon, du consultant AlixPartners. Actuellement, seul 1% de la production mondiale de cellules lithium-ion émane de l'Union européenne, alors que le marché mondial des batteries auto pourrait atteindre 45 milliards d'euros en 2027, dont 25% en Europe, selon le cabinet BCG.

La batterie automobile est un produit lourd et, pour des raisons de sécurité, intransportable en avion. Les fournisseurs ont donc intérêt à la produire au plus près des marchés, ce qui permet aussi d'éviter les droits de douane. LG implante ainsi une usine en Pologne, Samsung en Hongrie. BMW a signé en juin 2018 un accord pour fabriquer des batteries CATL en Allemagne. Mais, même si une part des batteries sera dans l’avenir assemblée en Europe, le risque est que la technologie demeure asiatique. D’où l’idée de l’"Airbus des batteries".

Deux sites de production européens

La première pierre du site de batteries en Nouvelle Aquitaine sera posée début 2020. Le but, selon Bercy, est qu’il y ait deux usines en fonctionnement, une dans l’Hexagone dès le début 2022 et une autre en Allemagne en 2024. Le projet français est bâti autour de Saft (filiale de Total) afin de faire des cellules de troisième génération pour batteries liquides, toujours selon le ministère de l’Economie. Il y a au total dix-huit projets européens, de la chimie (Belgique) au recyclage (Pologne). Le hic, c’est qu’il faut des milliards d’investissements. Construite une "gigafactory" de batteries, c’est 4 milliards d’euros en moyenne! Et il faudra très vite passer aux batteries dites solides (vers 2025-2026).

Or, les fabricants asiatiques aujourd’hui en production pourront financer les futures avancées technologiques avec les profits qu’ils tirent aujourd’hui des batteries liquides. Le pari de partir en Europe ex nihilo est politiquement louable mais techniquement et financièrement risqué. "Le projet d’une fabrication européenne nous intéresse, mais il faudra voir dans quelle mesure ce plan correspond à nos besoins en matière de compétitivité et de technologie", nous expliquait d'ailleurs récemment, avec beaucoup de circonspection, Thierry Bolloré, ex-directeur général de Renault. A Bercy, on espère que ces projets européens pourront au moins répondre à une partie de la demande européenne, peut-être le quart. Le risque de la fameuse transition énergétique n'est-il justement pas de détruire l'industrie européenne?