Réforme des retraites : Deux ans de couacs au sein du gouvernement
by Frédéric PayaAge pivot, clause du grand-père… les motifs de discorde n’ont pas manqué ces derniers mois entre Matignon et Jean-Paul Delevoye. Le haut-commissaire aux retraites doit maintenant faire face à une omission gênante dans sa déclaration d’intérêt.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est plutôt ballot en plein débat sur la réforme des retraites et Jean-Paul Delevoye n’avait pas vraiment besoin de cela, surtout en ce moment. Selon Le Parisien, le Haut-commissaire aux retraites a oublié de déclarer à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique ses fonctions d’administrateur au sein de l’Institut de formation de la profession de l’assurance (IFPASS). Le problème, c’est que pour beaucoup, les assureurs pourraient bien tirer leurs marrons du feu avec cette réforme. « J’ai été nommé en 2016 par le conseil d’administration de l’IGS, fédération d’associations indépendantes à but non-lucratif pour le représenter au sein de l’IFPASS. Ce rôle d’administrateur, bénévole, consistait en une présence au sein des conseils d’administration de l’IFPASS. Depuis ma nomination en tant que Haut-Commissaire à la réforme des retraites en octobre 2017 puis Haut-Commissaire aux retraites en novembre 2019, je n’ai assisté qu’à 3 conseils d’administration », a t-il expliqué dans un communiqué de presse pour tenter d’éteindre le feu. « C'est une omission par oubli, s’est-il maladroitement justifié au Parisien. Je reconnais que ce n'est pas responsable. » Pour éviter un tout soupçon de conflit d’intérêt, il a annoncé lundi, renoncer immédiatement à ses fonctions d’administrateur de l’IFPASS.
Jean-Paul Delevoye, deuxième choix
Plus le temps passe, plus Emmanuel Macron doit sans doute – et amèrement – regretter d’avoir nommé Jean-Paul Delevoye à ce poste. Serait-ce ce que l’on appelle une erreur de recrutement ? Si tel était le cas, elle couve depuis 2017. Comment cela ? Simplement parce que l’actuel haut-commissaire aux retraites n’aurait pas dû s’occuper de ce dossier très sensible. Initialement Emmanuel Macron avait pensé le confier à Jean Pisani-Ferry. Ne serait-ce parce que l’ancien commissaire général de France Stratégie lui avait fourni et chiffré bon nombre d’idées qu’il a ensuite reprises dans la réforme des retraites de son programme présidentiel. Ce système de retraite universel à points, effaçant d’un coup de gomme 42 régimes différents, devait être la réforme de toutes les réformes… Mais c’était sans compter sur une (simple) question d’ego… Jean Pisani-Ferry n’a pas eu de portefeuille de ministre et lorsque son nom a été cité pour prendre en charge le dossier des retraites, il aurait refusé car il aurait alors dû référer à Agnes Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé, et non à Matignon, comme il le faisait à la tête de France Stratégie.
Le choix d’Emmanuel Macon s’est donc porté sur Jean-Paul Delevoye qu’il nomme haut-commissaire à la réforme des retraites le 14 septembre 2017. Les deux hommes se connaissent bien : l’ancien ministre de la Fonction publique sous Jacques Chirac et l’ancien patron du Conseil économique et social et environnemental de 2010 à 2015, l’a rejoint en 2017 et a présidé la commission d’investiture pour les élections législatives de la République en Marche.
En avril 2018, le haut-commissaire à la réforme des retraites ouvre les concertations avec les partenaires sociaux et enchaîne les réunions tandis que l’opinion publique est invitée à se prononcer sur le sujet à l’occasion de la consultation citoyenne au cours de laquelle 50 000 personnes participeront pendant huit semaines et déposeront 60 000 contributions. Mais rapidement les partenaires sociaux ont l’impression de ne pas être écoutés et que tout semble jouer d’avance. Faute de résultat tangible, Matignon qui a toujours été davantage en faveur d’une réforme paramétrique que systémique de grande ampleur, essaie de reprendre la main et s’invite dans le débat sur les retraites. En mars 2019, le Premier ministre Edouard Philippe, Agnès Buzyn et le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin montent au créneau pour défendre l’idée qu’il faudra travailler plus. De quoi provoquer une colère de Jean-Paul Delevoye qui menace alors de démissionner, comme le rapporte Le Figaro.
Une polémique balaye l'autre
Cinq mois plus tard, en juillet 2019, Jean-Paul Delevoye présente une ébauche de projet reposant sur un système à points, sur la totalité de la carrière et non plus sur les 25 dernières années dans le privé et les six derniers mois dans le public, sur la prise en compte des primes des fonctionnaires, sur une pension minimum et sur un âge pivot de 64 ans. Cette dernière idée n’est pas du goût d’Emmanuel Macron. Interviewé sur France 2 à l’issue du G7 de Biarritz à la fin août 2019, balaie d’un revers de main l’idée de l’âge pivot ; il estime au contraire qu’un accord doit être trouvé sur la durée de cotisation et non l’âge, histoire sans doute de s’assurer le soutien de la CFDT : « Si vous avez un accord sur la durée, si vous commencez plus tard, vous finissez plus tard, et quand vous commencez plus tôt vous partez plus tôt. » En septembre 2019 (le 3, Jean-Paul Delevoye entre au gouvernement en tant que Haut-commissaire aux retraites), Edouard Philippe remet le couvert sur TF1 et annonce : « Il faut dire la vérité aux Français: compte tenu de la réalité démographique, nous allons travailler un peu plus longtemps que ce soit avec la durée de cotisation ou l'âge pivot. »
En octobre, les tensions repartent avec cette-fois la clause du grand-père dans laquelle il s’agit d’unifier tous les régimes pour les nouveaux entrants, c’est-à-dire que la réforme des retraites commencera à porter ses fruits dans une quarantaine d’années. Dans l’avion qui le ramène de la Réunion Emmanuel Macron évoque sa volonté de « donner du temps à la transition », ajoutant quelques minutes plus tard qu’« un gendarme que j’embauche demain, il est dans le nouveau système ». En clair, la réforme s’appliquerait aux nouveaux entrants, sans doute pour calmer la CGT à un mois de la grande grève nationale. C’est la fameuse clause du grand-père. Or Jean-Paul Delevoye s’est toujours prononcé contre, estimant (à raison) que « si on appliquait de façon généralisée la “clause du grand-père”, cela reviendrait à créer un quarante-troisième régime ». Début novembre, Emmanuel Macron intervient en Conseil des ministres pour faire la leçon sur le sujet. Principalement visé, Jean-Paul Delevoye, qui n’aurait pas été présent ce jour-là à l’Elysée. Quelques jours plus tard, alors que la grève nationale se profile, le haut-commissaire à la réforme des retraites met un peu d’eau dans son vin et annonce que l’exécutif a « tous les choix possibles ».