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Image d'illustration © GEAI LAURENCE/SIPA

8 décembre 2018, “gilets jaunes”, acte IV : une nouvelle stratégie du maintien de l'ordre

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Un an après le rassemblement des “gilets jaunes” qui a fait 126 blessés à Paris, Le Monde revient sur cette journée qui marque un tournant dans la gestion du maintien de l’ordre. 

Le 8 décembre 2018, les « gilets jaunes » préparent leur quatrième acte à Paris. Le week-end précédent, les autorités ont assisté, impuissant, au saccage d’un des symboles du pays, l’Arc de Triomphe. Pour ce nouveau samedi de mobilisation, elles comptent bien serrer la vis, pour ne pas avoir à revivre une telle humiliation. Le Monde a reconstitué cette journée charnière dans la gestion du maintien de l’ordre. 

Plus de mobilité

Tout commence la veille, le 7 décembre, dans la salle de commandement de la Préfecture de police, sur l’île de la Cité à Paris. « Si vous vous demandez pourquoi vous êtes entrés dans la police, c’est pour un jour comme celui-ci ! », clame un haut gradé, lors de l’ultime briefing précédant la journée de mobilisation. Toute la semaine, les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont travaillé ensemble pour définir le cadre légal des opérations du week-end. Première décision importante : les forces de l’ordre mènent une vague d’interpellations massives et préventives, qui s’appuient sur une série de réquisitions délivrées par les procureurs. Pour ne pas revivre la déroute du 1er décembre, où leurs troupes étaient restées trop statiques, les unités de police et de gendarmerie vont également se rendre plus mobiles. Ainsi, des détachements d’action rapide (DAR), qui deviendront les brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M), sont créés et équipés de motos. 

De nombreuses interpellations préventives 

Le matin du 8 décembre, de nombreux « gilets jaunes » sont interpellés dès leur arrivée dans les gares ou aux portes de Paris, parfois même dans les départements limitrophes. Ils seront relâchés dans la soirée, avec un simple rappel à la loi, après avoir parfois passé la journée dans une cellule de dégrisement. Sur la journée entière, 1 082 personnes seront interpellées dont 974 placées en garde à vue. Les motifs ? « Port d’armes », « détention de stupéfiants », « port de masque », « outrage », indique Le Monde qui a eu accès aux comptes rendus des policiers. Ainsi, en début de matinée, la police embarque 78 personnes d’un coup car ils sont « issus d’un groupe à risque » dont « certains porteurs de masque ». « Le principe est simple, on ramasse tout ce qui est vindicatif et tout ce qui porte des équipements de protection, si vous êtes habillé comme un footballeur américain, c’est que vous voulez en découdre », explique un policier. Au cours de la journée, comme le commissariat du 18e arrondissement, où sont emmenés les manifestants interpellés, est rapidement saturé, l’ancienne prison située sous le palais de la justice sur l’île de la Cité est réquisitionnée. 

126 blessés en une journée

La grande première de cette manifestation réside aussi dans le nombre de personnes blessées (126). Ils sont notamment 12 à avoir été touchés par des tirs de lanceur de balles de défense (LBD). Quatre d’entre eux ont perdu un œil. Un triste record. A la mi-journée, la situation est de plus en plus tendue et la gendarmerie ressort ses blindés pour l’occasion. Le but ? Déblayer les barricades en feu qui se hissent un peu partout. A la radio, les policiers au sol n’ont qu’un seul mot d’ordre : pas de quartiers. « Vous pouvez y aller franchement, allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter ceux qui sont à votre contact, à proximité… Ça fera réfléchir les suivants », indique le commandement aux CRS. Plusieurs « gilets jaunes » en font les frais. L’un d’entre eux reçoit ainsi un tir de LBD dans la tête. « Je ne suis pas tombé, j’ai tenu mon œil dans ma main, mon pote m’a dit ‘tu n’as plus d’œil’. Je l’ai jeté par terre », raconte-t-il. Un autre explique avoir été « brutalement » interpellé après avoir « glissé sur un pavé » mouillé par les lanceurs d’eau. Plus loin, un artisan qui allait faire des réparations chez une vieille dame est embarqué à cause des outils qu’il transportait. En garde à vue, la quantité se fait d’ailleurs au détriment de la qualité. « On a saturé les services avec un millier de gardes à vue et on a raté des vrais dossiers. Il y a eu énormément de classements sans suite parce qu’on ne pouvait pas suivre », admet un policier.