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Sur la ligne 3b du tramway parisien, ce lundi matin.
Photo Rafael Yaghobzadeh. AP

Pendant la grève, la cohue-bohu dans les trams parisiens

Entre pleurs, abandons et résignation, les Franciliens ont eu ce lundi matin un voyage mouvementé sur les lignes 3a et 3b, situées sur les boulevards maréchaux de la capitale.

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Plus fiable que le RER, plus rapide que le bus, plus lumineux que le métro : en temps normal, le tram est peut-être le plus sympathique des transports collectifs parisiens. Inaugurée en 2006, la ligne 3a borde tout le sud de la capitale, reliant la Porte de Vincennes à l’Est au pont du Garigliano à l’ouest. Embarquer à l’un de ces deux terminus est souvent la garantie de voyager assis, au rythme des curieux jingles marquant chaque arrêt en station.

Mais rien ne permet de le deviner, ce lundi vers 9 heures à Porte de Vincennes. Une forêt de parapluie hérisse les quais, battus par la pluie et mangés de pénombre. Seule la moitié des rames circule sur la 3a, comme sur la plupart des autres lignes de tram de la région : c’est mieux, bien mieux que la plupart des lignes de métro, dont une douzaine restaient lundi partiellement ou totalement fermées. Ce matin, ils sont donc plusieurs centaines à tenter leurs chances et à attendre le passage du prochain tram, prévu dans une vingtaine de minutes. Certains, qui n’ont pas réussi à embarquer dans le précédent, attendent depuis une heure. Nerveux et trempés, des usagers engueulent les petits malins qui tentent de remonter la foule pour se placer en face des portes. La RATP avait malheureusement prévu le coup: après deux jours de grève en fin de semaine dernière où les Franciliens semblaient s’être organisés, l’afflux de passagers de ce lundi matin rendait la situation «très dangereuse» sur les quais et la régie recommandait de trouver des transports alternatifs. D’ailleurs, les embouteillages autour de Paris ont culminé à plus de 600 km en début de matinée. 

Hallucinant pressoir humain

Porte de Vincennes, lorsque la rame entre en station, ce sont des cris de surprise et de douleurs qui jaillissent : un brusque mouvement de foule a plaqué les premières rangées contre la paroi des wagons. Le tram est littéralement pris d’assaut : on joue des mains, des coudes et des épaules pour en approcher les portes. Sans égard pour les plus fragiles, écrasés au cœur de cet hallucinant pressoir humain. Devant la violence de la scène, plusieurs voyageurs renoncent à embarquer. Une femme s’extrait de la masse en pleurant. Le convoi s’ébranle, au nez des nombreux voyageurs restés à quai. Prochain passage dans vingt minutes.

Même situation à 9h30 à Porte de Bagnolet, où passe une autre ligne, la 3b. Sur le quai, la foule est tellement compacte que les voyageurs les moins prévoyants peuvent s’abriter sous le parapluie de leur voisin l’air de rien. On s’impatiente, en attendant les rares trams qui passent. Un wagon apparaît. Un bref instant de soulagement, puis la panique : le tram est déjà plein à craquer. De voyageurs abandonnent et se rabattent sur la marche, l’air de ne pas tellement savoir dans quoi ils s’embarquent. D’autres, ayant décidé de laisser passer leur tour, attendent sur le quai, un peu en retrait. D’ici, on voit ceux qui ont décidé de mener bataille. Une seule tactique : pousser pour rentrer. Sauf qu’à l’intérieur, certains veulent sortir. «Laissez passer !» entend-on hurler. Puis : «Arrêtez de pousser, il y a un enfant à l’intérieur.» «Facile à dire, elle est dedans», répond une femme sur le quai, d’où on entend en effet les pleurs d’un enfant. Le tram repart finalement sans que la foule se soit vraiment dispersée. 

«On casse la porte»

A 10 heures, Porte de Vincennes, on s’étonne de voir le quai de la 3a presque vide. Mieux, on trouve une place dans le premier tram qui passe. A l’intérieur, les voyageurs téléphonent pour tenir des gens informés de l’évolution de leur périple. Les wagons ne sont pas bondés mais le tram avance à la vitesse de la marche avant de s’arrêter au milieu de la ligne. Problème technique, informe le chauffeur dans le haut-parleur. Les voyageurs s’impatientent et l’interpellent : «On peut descendre ? Si vous n’ouvrez pas on casse la porte.» Réponse du chauffeur : «Vous pouvez crier et taper autant que vous voulez, je n’ai pas le droit d’ouvrir la porte.» Certains voyageurs rient, d’autres trépignent, certains les deux à la fois. Quinze minutes plus tard, ça redémarre, pour s’arrêter 100 mètres plus loin. Une femme commente au téléphone : «Ah on repart. Ah, non, on s’arrête.» Une autre, à celui ou celle qu’on imagine être son patron : «Tu vas me payer double aujourd’hui et ce soir je dors à l’agence.» Les arrêts défilent tout doucement. Il aura fallu deux heures, au lieu de quarante minutes en temps normal, pour arriver au bout de la ligne.