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Pierre Richard au Théâtre de l’Atelier à Paris.(William Beaucardet pour le JDD)

Seul en scène et muet, Pierre Richard réalise une performance poétique

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Seul en scène, Pierre Richard relève le défi d'une performance poétique et sans paroles conçue par Mathilda May.

Son élocution paraît saccadée, à croire qu'il cherche ses mots entre pudeur et bonhomie. Dans le canapé du loft parisien où il vit du côté du bois de Boulogne, à Paris, Pierre Richard ne fait pas son âge, 85 ans. Avant de se rendre en répétition, à moto, il nous reçoit détendu, tel quel avec son air de grand blond, barbiche clairsemée, sourire bonasse, chemise en jean. Il se dit paradoxalement bien embarrassé de nous parler de ­Monsieur X, le spectacle qu'il joue cet hiver au Théâtre de l'Atelier. "Je ne peux pas trop raconter, ça gâcherait, prévient-il. Disons que ce personnage, en un sens, est très proche de moi. Ce n'est pas un hasard puisque Mathilda l'a écrit pour moi…"

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À l'évocation de sa rencontre avec Mathilda May, en 2015 au Théâtre du Rond-Point, le vieil acteur se met à l'aise, demande à son dévoué de lui rouler une cigarette. "Je ne la connaissais pas mais, sur le conseil d'amis, j'étais allé voir Open Space, son premier spectacle, que j'ai adoré. C'est sans texte, burlesque, poétique, très musical. En découvrant ça, je suis immédiatement allé la ­féliciter."

Un spectacle mis en scène par Mathilda May

En retour, la metteuse en scène déclare à Pierre Richard son admiration : "Elle me répond du tac au tac qu'il y a trois personnes qui l'ont toujours inspirée depuis l'enfance : Buster Keaton, Jacques Tati et moi!" Pierre ­Richard ­reçoit le compliment "sans voix et tout à coup complètement rouge", ­raconte-t‑il. "Quelques années plus tard, je vais la féliciter pour son deuxième spectacle du genre, Le Banquet, et là, elle me propose de se retrouver dans un bar." Sur le moment, Pierre Richard se souvient d'avoir imaginé bien des choses… "Je pensais qu'elle allait m'intégrer dans sa compagnie et j'étais très flatté, prêt à accepter les yeux fermés. Mais pas du tout ! Elle m'a lancé : 'Ce n'est que vous que je vois, et seul en scène.'"

Le fruit de leur rencontre théâtrale s'annonce singulier. Inspirée des toiles surréalistes de Magritte, l'affiche indique que la musique originale est d'Ibrahim Maalouf et suggère Monsieur X de dos, chapeau melon la tête dans les nuages. Rien de plus. "On sait seulement qu'il est retraité, qu'il vit seul, qu'il peint, explique Pierre Richard. Après, pas besoin d'en savoir trop. Il paraît solitaire mais ne l'est pas tant, il est heureux dans sa solitude. Comme moi, il a des rapports avec ses objets, sa cafetière, son mur, sa lampe…"

On ne croirait pas comme ça, mais il s'en passe des choses dans la petite pièce où il habite. "Ce qu'il vit est à la fois narratif et comme une danse, avec des ­moments musicaux, poursuit l'­acteur. Peut-être aurais-je dû intégrer les ballets de Béjart, c'est ce que je fais de mieux! Mais il y a longtemps que je serais au chômage…"

Le comédien se dit "né burlesque"

Le reste est à découvrir en temps réel, et Pierre Richard le jure, c'est au garde‑à-vous qu'il a relevé tous les défis imposés par sa metteuse en scène. "Mathilda m'écoute, mais elle est l'auteure et elle arrive à résoudre des trucs impossibles. Elle répète du matin au soir pour trouver des solutions à tout alors que moi, je ne viens au théâtre que l'après-midi. C'est un spectacle très technique qui a exigé de travailler avec un vidéaste, un illusionniste…"

Une dimension qui le réjouit. "Aujourd'hui dans un film on ne s'étonne plus de grand-chose, tandis qu'au théâtre les effets spéciaux ça fait une sacrée complication mais c'est magique." L'occasion est d'autant plus belle que le comédien se dit "né burlesque" : "Ça a commencé à 3 ans, avec un balai que je m'étais enfoncé dans… la gorge. Après, pour jouer, faut être très adroit!" À l'évidence, il l'est vite devenu. "C'est un art proche du cirque où l'on peut se pencher vers l'onirisme, confie-t-il. Ça me touche mais je ne le cherche pas trop, je n'aime pas quand c'est marqué 'Attention poète'."

"Le rire en direct, c'est quand même génial", affirme Pierre Richard

Aujourd'hui, le grand écran lui offre des rôles plus dramatiques qu'il estime "reposants" en comparaison de ce qu'exige une partition comique. Il a bien un projet de film sur lequel il reste mystérieux et qui pourrait se révéler satirique, mais la production tarde. "J'aime le cinéma, c'est une histoire d'amour qui ne s'arrêtera jamais, avoue-t‑il. Mais l'époque où on se disait 'oui' les yeux dans les yeux avec un producteur est révolue. Maintenant, il y a beaucoup de censure car tout dépend de la télé, on est soumis à des comités de lecture." Il est loin de presque un demi-siècle, le temps de ses trois premiers films (Le ­Distrait, Les Malheurs d'Alfred, Je sais rien mais je dirai tout) : "Tous très contestataires, dans le burlesque quand même! Je me suis moqué de la pollution publicitaire, des jeux télé, des vendeurs d'armes… Oui, il y aurait sûrement matière à les refaire aujourd'hui."

La scène lui procure d'autres sensations. "Le rire en direct, c'est quand même génial. Quelle adrénaline! On ne sent plus son mal d'épaule, de genou ou de tête, on y va! Au cinéma, ça n'arrive que des mois après, au moment où on est déjà sur d'autres coups avec d'autres films."

Ce sera peut-être aussi, avec ce Monsieur X, l'occasion de voyager? "C'est vrai, j'y ai pensé tout de suite : comme c'est muet, je serai comme le mime Marceau, je pourrais aller partout, à Buenos Aires ou à Tokyo! Mais on verra." Et si le spectacle ne marche pas, il aura toujours bien à faire. En studio, ou peut-être au Brésil où vit sa belle-famille et où il apprécie de vivre incognito. "C'est l'un des rares pays d'Amérique du Sud où on me fout la paix. J'étais très connu au Chili, au Venezuela… Mais à São Paulo, les seuls qui me reconnaissent sont russes! Je peux me promener en vieux short sans qu'on me dise : 'Oh le pauvre garçon, ce qu'il tourne mal…' Et puis au Brésil on a d'autres soucis. Le pays est entre les mains d'un fou dangereux alors que c'est un sanctuaire qui n'a jamais été aussi nécessaire à la biodiversité humaine tout entière."

"Monsieur X", Théâtre de l'Atelier (Paris 18e) à partir du 10 décembre. Réserv. : 01 46 06 49 24 ou theatre-atelier.com