Comment la pratique du pouvoir par nos dirigeants a affaibli la France
by François MartinFrançois Martins, membre fondateur du fonds de recherche amitié politique, analyse les mécanisme qui ont amené à la baisse de l'influence de la France. Et voit dans la pratique de la politique par nos dirigeants la raison pour laquelle l'État n'arrive plus à se faire respecter, sur la scène internationale comme dans l'Hexagone.
Si la France donne le sentiment de s'affaiblir, c'est d'abord parce que les différents chefs de gouvernement qui se sont succédés ont cherché à exploiter, à leur profit, les multiples lignes de fractures de la société française — lignes qu'ils avaient souvent, eux-mêmes, créées. Sous couvert du théorique « Liberté, Egalité, Fraternité », ils ont ainsi pris pour devise « diviser pour mieux régner ».
Ces fractures sont multiples : sociale, identitaire, générationnelle, politique, scolaire, entre nationalistes et européistes, entre France d'en bas et d'en haut, entre France urbaine et périphérique, etc. À chaque fois, le pouvoir a préféré les exacerber plutôt que les combler, poursuivant un même objectif : jouer sur les peurs. En effet, nous vivons la fin d’une période qu’on peut dire pacifiste, débutée au milieu des années 60, à la fin des guerres coloniales (cf Comment notre monde a cessé d’être chrétien, Guillaume Cuchet, Seuil, 2018), pour rentrer à nouveau dans une période de périls et de conflits, internes ou internationaux. Dans ce moment où la peur de l’avenir est exacerbée, il est facile de terroriser les idéalistes et les peureux, de faire du chantage à l’explosion (de quelque nature qu’elle soit), et de cliver l’opinion entre ceux qui pensent qu’il faut prendre le « taureau par les cornes », quitte à ce qu’il y ait de la casse, et ceux qui pensent qu’il vaut mieux s’accommoder d’un peu de déshonneur pour éviter la violence ou la guerre. Ce conflit est très classique, et caractéristique des époques de transition comme la nôtre. Cela permet de resserrer autour de soi les « pacifistes » (essentiellement la classe bourgeoise, les fonctionnaires et les jeunes) et de marginaliser tous les autres. Combien de temps durera encore ce petit jeu mortifère, personne ne le sait, mais ce qui est certain, c’est que cela nous empêche, en attendant, de prendre quelque décision que ce soit.
Le contresens européen
A défaut d’être bonne, solide, et réaliste, l’idée de départ de l’Europe, au moins, était belle : « plus jamais la guerre ». La CECA, fusion des matières premières de la guerre (le charbon et l’acier franco-allemands), en était la traduction. Puis, le temps passant, avec l’élargissement, la propension naturelle des hommes à la complication administrative et, il faut bien le dire, la faiblesse politique de la France, l’Europe est devenue ce qu’elle est aujourd’hui : un « machin », une entité à la fois ultra-libérale et technocratique, un monstre totalitaire déshumanisé, dont les peuples ont perdu le contrôle, dirigé en sous-main par l’Allemagne, comme le montrent le livre de Coralie Delaume (Le couple franco-allemand n’existe pas, Michalon, 2018) et, magistralement, le dernier film de Costa-Gavras, Adults in the room. Face à cela, rien d’autre à faire qu’en contester globalement la légitimité, et attaquer l’Allemagne « bille en tête », pour son égoïsme économique, le cœur du problème. Au lieu de cela, nous n’avons cessé d’afficher notre attachement indéfectible au « couple » formé par nos deux pays, et de tenter de « rentrer dans les clous » du déficit français sans exiger, en contrepartie, la réduction de l’excédent allemand. Tant la construction actuelle de l’Europe, et la philosophie qui la sous-tend, que le fait que son leadership nous échappe, tout cela ajoute encore à notre impossibilité d’agir.
Macron Bonaparte ? Et si c’était Louis XVI ?
Enfin, notre impuissance tient aussi à la personnalité même d’Emmanuel Macron. En effet, lorsqu’il est arrivé au pouvoir, au départ, on l’a plutôt pris pour Bonaparte. C’était, défaut classique de notre société médiatique éprise de com’, confondre le fond et la forme. Aujourd’hui, à mi-mandat, la réalité apparaît bien plus claire : cet homme est incapable de choisir. S’il a pu déminer, presque seul, la crise des Gilets Jaunes, quelle direction a-t-il prise ensuite, quels choix a-t-il fait pour la résorber ? A-t-il choisi de construire une France libérale (auquel cas il faut « affamer l’Etat » en dégraissant puissamment l’administration) ou bien une France protégée ? Une France nationale ou bien ouverte à tous les vents, mondialiste et multiculturelle ? Une France qui combat le communautarisme islamique ou qui le justifie ? Qui veut le retour vers « l’Ecole des savoirs » ou qui reste définitivement « pédagogiste » ? Une France forte ou faible en Europe ? Amie ou ennemie de Trump ? de Poutine ? Une France qui défend les familles ou qui continue à les détruire ? En vérité, personne ne le sait. Sur tous ces dossiers importants, Macron navigue à vue. S’il semble être un tacticien déterminé, il se montre incapable d’être un stratège. Sa logique est comptable, celle de l’argent, du « mouvement », du progressisme, mais pas de la direction. De la com’ à tout va, très bien relayée par le « chœur des vierges médiatiques » (la presse mainstream aux ordres), et rien qui avance derrière. Hollande, au moins, assumait son positionnement à gauche. A être « ni de gauche ni de droite », on est finalement de nulle part. Pire : lorsque tout va bien, au début, on ramasse les électeurs des deux côtés. Lorsque le temps se gâte, on les perd et on prend des coups des deux côtés. A ce titre, il vaudrait mieux qu’il abandonne la réforme des retraites. En effet, dans ce genre de situation, le pire est de fédérer les mécontentements. Louis XVI avait fait cette bêtise en convoquant les Etats-Généraux. On peut douter que Macron fera la même. Il ne la fera pas, bien sûr, et il nous imposera la « clause du grand-père », ou même de l’arrière-grand-père, pour se défiler en sauvant la face. En attendant, on peut parier sans trop de risques qu’il ne fera rien de notable d’ici la fin du quinquennat, à part lancer sans cesse de nouvelles pistes devant les caméras, sans jamais en poursuivre aucune.
Comment tout cela se terminera-t-il ? La physique permet de répondre : lorsque la pression monte sans cesse sans jamais ouvrir la boîte, à un moment, la boîte explose. Chacun semble aujourd’hui se dire : « ça va péter », sans oser (mis à part certains, comme Zemmour), le dire trop fort. Ça ne pète pas encore, parce que la peur de l’explosion, précisément, en retarde l’échéance. Nous sommes, à proprement parler, dans un moment pré-révolutionnaire : celui où, sans qu’on n’en connaisse à l’avance la date, ni le prétexte, l’expression des opinions privées et cachées (le mécontentement grandissant) se traduira brutalement dans les opinions publiques, que chacun s’évertue pour l’instant à modérer (cf. Private Truths, Public Lies, Timur Kuran, Harvard Press University, 1995). Si aucune vision pour la France ne se fait jour rapidement, si aucune direction stratégique n’est définie, l’issue ne fera pas de doute.