Comment garder l’esprit d’équipe en travaillant à distance
Comment rester proche de ses collègues (et de ses chefs) malgré les kilomètres ? Les témoignages de télétravailleurs qui relèvent ce défi au quotidien.
Les collègues, c'est important. Les bonnes relations entre voisins de bureau figurent même parmi les critères essentiels du bonheur au travail. Mieux : selon une étude réalisée en 2014 pour la Foncière des Régions, 30% des estiment que leurs collègues sont aussi des amis. Alors comment faire pour conserver ces liens privilégiés et informels lorsqu'on commence à télétravailler ? Certes, bosser un jour ou deux par semaine depuis chez soi n'empêche pas de se retrouver devant la machine à café le reste du temps. Mais qu'en est-il pour ceux qui ne travaillent qu’à distance, par nécessité, dans le cadre d'une promotion, d'une opportunité ou d'un déménagement ?
La question s'est posée à Louis Franchon-Santini il y a quatre ans et demi. Alors directeur de clientèle au siège parisien de Leboncoin, il se voit proposer une belle opportunité : développer le service commercial de la société dans le sud-est de la France. Le challenge lui plaît, mais l'éloignement l'inquiète. «Le télétravail s'imposait, avec 800 kilomètres entre le siège et mon nouveau domicile. J'avais peur de la solitude, explique-t-il, parce que je me connaissais seulement dans une vie de bureau, entouré de collègues, avec une pause-café à 16 heures et la possibilité de discuter et de relâcher ensemble la pression après un rendez-vous tendu. Je vivais mon quotidien professionnel dans l'échange. Je ne savais pas comment aborder une situation de sociabilisation que j'imaginais nécessairement appauvrie.»
Finalement, il a trouvé ses marques en mettant en place une organisation bien rodée avec les neuf commerciaux de son équipe éparpillés dans le grand sud-est. Il a ainsi a pris l'habitude de les saluer tous les lundis matins, sur un tchat commun. «Nous commençons la semaine par une réunion collective, raconte celui qui est désormais responsable grands comptes auto et immo sud, toujours pour Leboncoin. Mais, en réalité, le premier quart d'heure est consacré à se raconter le week-end, à discuter. C'est le moment où je prends le pouls de l'équipe, de son moral et de sa dynamique collective. Ça me permet de savoir si c'est un lundi souriant ou difficile.» Si l'un ne se sent pas au mieux de sa forme, les autres lui parlent pour le soutenir. Comme au bureau !
Pour éviter les affres de l'isolement, Raphaël Daniel, directeur des relations presse de FlixBus, a de son côté choisi d'instaurer un point de dialogue quotidien avec ses collègues lointains. Ayant quitté Paris pour Bordeaux afin de suivre sa femme, il a obtenu de sa hiérarchie de travailler à distance et ne repasse au siège que toutes les deux semaines. Pas question de s'éloigner des équipes pour autant. «Quand je me mets au travail le matin, je ressens le besoin de saluer les autres par messagerie, de leur demander comment ça va, détaille-t-il. Pour moi, celui qui est loin doit manifester sa “présence numérique”, montrer qu'il est disponible comme s’il était physiquement au bureau. Nous faisons aussi des points réguliers, au téléphone ou par visioconférence.» Des rituels ancrés au quotidien, pour rythmer la journée.
Nombreux sont les outils qui permettent de mettre en place ces rendez-vous réguliers : Microsoft Teams, Slack, Skype, Discord, WhatsApp (lire page XX)… Directeur général associé de l'agence d'information News Tank Higher Ed & Research, Théo Haberbusch utilise Office365, la suite de Microsoft sur le cloud. Strasbourgeois, il vient à Paris deux jours en début de semaine, puis travaille depuis l'Est et gère des collaborateurs en télétravail. «Grâce à ces outils, nous avons recréé une vie d'équipe, assure-t-il. Au départ, nous avions choisi Slack et j'ai aussitôt établi une chaîne “récréation”, que nous nous sommes appropriée. Nous savions que nous allions travailler mais aussi rigoler un peu, maintenir la convivialité malgré la distance.»
Une communauté virtuelle ouverte également aux free-lances associés au projet. De quoi forger des relations informelles au-delà des frontières du bureau, même si des retrouvailles régulières in real life ne sont pas à dédaigner. «Si l'équipe décide d'un jour où tout le monde se retrouve au bureau, que ce soit une fois par semaine ou tous les quinze jours, ce n'est pas négociable, il faut être là, estime Sylvaine Scheffer, coach professionnelle et directrice associée du cabinet Coévolution. Et, dans l’idéal, il ne faut pas seulement prévoir un enchaînement de réunions. L'entreprise a tout intérêt à financer une nuit d'hôtel aux collaborateurs. Ces temps sociaux peuvent être vus comme improductifs, mais ils sont en réalité très rentables sur le long terme.»
Ces rencontres sont en effet primordiales, estime Théo Haberbusch. Lorsqu'il est au siège parisien, il s'efforce de prévoir un moment privilégié avec ses collaborateurs. «J'essaie de conserver un emploi du temps fixe et de venir en début de semaine. C'est là que nous fixons nos réunions, mais aussi les comités de direction. Ce sont des repères hebdomadaires, il est important que tout le monde soit présent. Ces deux journées sont aussi l'occasion pour chacun de me solliciter, d'interagir. Et j'évite d'organiser des déjeuners à l'extérieur le lundi pour pouvoir manger avec l'équipe et passer du temps avec elle.» L'objectif est de renforcer la communication et la confiance mutuelle, avant que chacun reparte dans son coin.
Pour qu'ils puissent s’entraider en cas de problème, Gaël, ingénieur dans une grande entreprise de logiciels, a choisi de réaliser des partages d'écran avec ses collègues. «Nous utilisons une solution qui s'appelle BlueJeans, cela permet aux autres de voir en direct ce qui se passe sur mon ordinateur, c'est vraiment pratique ! Le logiciel permet aussi de passer des appels. Pour l'écrit, nous utilisons Slack», explique-t-il. Bien sûr, une connexion Internet efficace est indispensable. Le domicile de Gaël n'étant pas connecté à la fibre, il a parfois des soucis lors de réunions comptant de nombreux interlocuteurs. Dans ces moments-là, rien ne remplace… le téléphone.
Se parler, par le biais de Facetime ou en visioconférence, est encore l’une des meilleures façons de bien gérer ses relations à distance. Directrice financière pour Cozy Cloud, Caroline Aignan-Vanfleteren a principalement affaire à des salariés en télétravail. D'où la nécessité de communiquer clairement. «Si l'on n'arrive pas à se comprendre rapidement par écrit, on s'appelle, souligne-t-elle. C'est plus simple et l'on perçoit les nuances de la voix. C'est important, surtout quand il s'agit de messages RH à faire passer.»
Justement, qu’en est-il des relations avec la hiérarchie et les instances dirigeantes ? Travailler à distance implique parfois de rater des moments de décisions et la politique de la chaise vide s'avère rarement payante… «Evidemment, c'est un point de vigilance, confie Théo Haberbusch. Il est difficile d'être associé aux discussions informelles quand on n'est pas là physiquement ! Il arrive que je découvre un sujet un peu plus tard que les autres, c'est inévitable. En revanche, les décisions stratégiques sont prises avec l'ensemble de la direction, lors des comités exécutifs, auxquels j'assiste toujours.»
Gaël, ingénieur, estime de son côté que les choix effectués à la volée «sont à bannir» : «Si je rate une réunion où un décision importante a été prise, cela signifie que la séquence a été mal gérée. Il ne peut pas y avoir de décision stratégique sans que tout le monde soit là ! Dans ce cas, on cale un rendez-vous et chacun se doit d'être présent. Heureusement, cela arrive rarement, nos équipes étant disséminées un peu partout.» Une organisation rigoureuse s'impose.
«Il faut se mettre d'accord en amont sur les modalités du télétravail, afin de voir si elles sont confortables pour le manager comme pour le collaborateur, conseille Sylvaine Pascual, coach professionnelle et consultante en plaisir au travail. Ensuite, on expérimente et on voit si des ajustements sont nécessaires, L'ennemi, c’est le non-dit. Il génère du ressentiment, des malentendus. Avec la distance, il faut encore plus de dialogue pour énoncer clairement ce qui va et ce qui ne va pas, faire des points réguliers, vérifier que les deux parties sont à l'aise.» C'est d'autant plus vrai avec son N + 1 : transparence, autonomie et confiance sont indispensables à une collaboration sereine.
Sur ce point, Kevin Dubourg semble trouvé son équilibre. L'entreprise pour laquelle il travaille, Yousign, spécialisée dans les signatures électroniques, est assez ouverte en matière de télétravail. Heureusement : il habite à 120 kilomètres de ses locaux ! Dès son embauche, il choisit le travail à distance, ponctué par une réunion mensuelle au siège caennais. «J'ai dit à mon responsable dès le départ que la distance imposait une vigilance d'autant plus grande, raconte-t-il. Les outils numériques ne laissent pas tout transparaître : nous n'avons pas cet échange “humain”, quand on voit le visage de l'autre, son sourire, ses moues… Il faut qu'il soit très précis sur ses attentes, sur le moment je peux le consulter, sur le degré d'autonomie et de responsabilité qu'il juge nécessaire. Nous nous sommes mis d'accord sur le fait d'être transparents. Cela pousse vers une communication encore plus qualitative et efficace.» Et pour contacter son chef en cas d'urgence, il lui suffit d’inscrire un rendez-vous, en direct, sur l'agenda de celui-ci.
Un tel mode de fonctionnement est-il adapté à tout le monde ? Satisfaits de leur choix, nos témoins déconseillent rarement le télétravail, sauf, peut-être, pour les juniors. «Les débutants ont besoin de plus d'encadrement, précise Louis Franchon-Santini, surtout dans le métier de commercial, où l'on apprend beaucoup par l'exemple, en pratiquant aux côtés d'un manager expérimenté. Préparer les dossiers, les rendez-vous, tout cela demande un suivi de proximité en début de carrière. Il faut aussi suffisamment de maturité pour savoir prendre du recul. Si je ne vais pas bien au bureau, cela se voit sur mon visage, un collègue va le remarquer. Si je suis seul, il faut être lucide, savoir le dire et en parler. La transparence est la clef de tout.»
Laura Beaubois, cheffe de projet chez Triple C
“Je ne me verrais pas revenir dans un open space !”
«Je travaille dans une agence de communication depuis cinq ans. L'agence est située à Bordeaux mais, depuis deux ans, je vis à Madrid. Je suis partie m'y installer pour suivre mon conjoint. Nous nous sommes mis d'accord avec mon directeur : je travaille quotidiennement depuis l'Espagne et je passe une fois par mois au siège. Selon les mots de mon directeur, je suis “la cheffe d'entreprise de mes propres clients”. Et, c'est vrai, avec la distance, j'ai plus d'autonomie.
Je n'ai pas eu peur de l'isolement. Nous avons rapidement organisé des rendez-vous réguliers avec mes collègues, je participe aux réunions en visioconférence. Avec mes clients, les échanges se font à distance, mais je les rencontre dès que cela est nécessaire ! Il n'est pas question qu'ils aient l'impression que cela me gêne de venir les voir, au contraire. Au départ, je me forçais à être connectée sur Slack de 9 à 18 heures, pour prouver que j'étais là. Maintenant, je m'en détache, le plus important est d'avancer sur mon boulot durant mes horaires de bureau. Pour réussir à distance, il faut de la rigueur, de la confiance et de l'autodiscipline. Pour être honnête, j'apprécie cette organisation. Pour le moment, je ne me verrais pas revenir dans un open space !»