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Après avoir passé plusieurs années à Bruxelles comme lobbyiste industriel auprès de la Commission européenne, Motohiko Sato est aujourd’hui senior manager en charge des affaires publiques pour Rakuten, à Tokyo.
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Motohiko Sato (Rakuten): «Taxes, régulations: nous réclamons les mêmes règles du jeu pour tout le monde» 

Pour ce responsable affaires publiques du géant japonais de la tech, « la taxe française sur les services numériques renforce la fragmentation de la fiscalité européenne »

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Motohiko Sato responsable affaires publiques du géant japonais de la tech Rakuten.

Alors que les Etats-Unis ont surpris en faisant volte-face sur la mise en place d’une nouvelle fiscalité internationale pour les activités numériques, l’OCDE a tenu lundi une nouvelle réunion de travail avec les 134 pays membre du cadre inclusif. Un travail absolument nécessaire selon Rakuten, le géant japonais de la tech qui a racheté Priceminister il y a dix ans. Plateforme de marché, mais aussi fintech, fournisseur de contenus et bientôt premier opérateur télécoms mondial à avoir entièrement dématérialisé son réseau, Rakuten appelle à une concurrence plus équitable avec les géants de la tech américains ou chinois.

Quel regard portez-vous sur la taxation des géants du numérique en discussion à l’OCDE ?

Il n’existe pas de taxe spécifique sur les activités numériques au Japon. En revanche, nous payons un taux élevé d’impôt sur les sociétés (30 %). Ce n’est pas le cas de nos concurrents étrangers qui ne disposent pas d’établissement stable au Japon. Et c’est un fardeau qui pèse lourd sur la compétitivité de nos entreprises. Qu’il s’agisse du droit de la concurrence ou de la protection des données, nous sommes soumis à une régulation qui est également beaucoup plus stricte que celle qui s’applique à nos concurrents étrangers. Alors que la compétition est féroce avec les géants américains ou chinois de la tech, nous réclamons les mêmes règles du jeu pour tout le monde, que l’on parle de taxes ou de régulation. C’est pourquoi nous soutenons vivement les travaux en cours à l’OCDE.

La régulation nationale ne s’applique-t-elle pas aux entreprises étrangères installées sur le sol japonais ?

La régulation japonaise s’applique à tous les concurrents bien sûr. Le problème, c’est qu’aucune mesure de rétorsion n’est appliquée aux entreprises étrangères en cas de non-respect de ces règles. C’est une grande différence qui pose problème. Prenons l’exemple des plateformes de location de logement : le gouvernement a récemment promulgué une loi imposant l’inscription des locataires sur les sites. Seules les entreprises japonaises se sont conformées à ces nouvelles règles. Les plateformes étrangères ont annoncé qu’elles le feraient, sans jamais appliquer les changements. C’est un vrai sujet pour nous.

Quel jugement portez-vous sur la taxe française sur les services numériques, à laquelle Rakuten France est soumis ?

Le patchwork des différentes règles fiscales et des différentes régulations au niveau international est pour nous un véritable cauchemar. Et malheureusement, la décision du gouvernement français accroît un peu plus cette fragmentation. L’Europe est un marché important pour Rakuten, qui est implanté en France, en Espagne, en Allemagne… Une fiscalité européenne unifiée serait un avantage pour nous. Nous soutenons la création d’un marché numérique européen.

Le débat sur le démantèlement des Gafam prend de l’ampleur aux Etats-Unis et en Europe. Et au Japon ?

Récemment, la « Japanese fair trade commission » [autorité de la concurrence japonaise] a été très proactive dans l’économie numérique, rejoignant ainsi la dynamique enclenchée par la Commission européenne et le Parlement américain. La politique de concurrence entre les plateformes et les entreprises est davantage soumise à des principes de justice et de transparence. Le gouvernement japonais s’apprête à voter une nouvelle loi sur les relations BtoB pour renforcer les rapports de force entre plateformes et entreprises. Il veut notamment insuffler davantage de transparence sur les conditions d’utilisation des plateformes et sur l’utilisation des données des clients utilisant les plateformes. Notre approche est assez similaire à ce qui a été fait par la Commission européenne. A la différence près que la régulation européenne est très souple, quand la régulation japonaise sera beaucoup plus contraignante.

Appliquez-vous le règlement général sur la protection des données (RGPD) ?

La confiance de nos clients est un des fondements de notre business, un moteur puissant. Nous sommes inscrits auprès de l’autorité luxembourgeoise sur la protection des données. Les entreprises japonaises veulent aussi s’y conformer, mais sont inquiètes de la mise en place très contraignante du RGPD. Rakuten a montré la voie : nous avons été le premier groupe japonais à appliquer « les règles d’entreprises contraignantes » [« binding corporate rules », article 47 du RGPD] qui permettent de transférer en toute sécurité les données au sein du groupe, en dehors de l’Union européenne.

Les consommateurs japonais sont-ils sensibles aux questions des données personnelles ?

Ils sont à mi-chemin entre les Américains qui n’y prêtent que peu d’attention et les Européens qui y sont très sensibles.

Que faites-vous des données personnelles de vos clients ?

Nous sommes riches de données au travers de nos différentes activités dans l’e-commerce ou les fintechs. Mais nous avons installé une muraille de Chine très stricte entre les données bancaires de nos clients et le reste de nos activités. Toutes nos activités dans les paiements, la Bourse ou le crédit, sont soumises à une régulation financière très stricte. Nous avons séparé les bases de données. Dans l’ensemble, notre approche est assez similaire à celle de l’Europe sur la protection des données. L’année dernière, le Japon et l’Union européenne ont d’ailleurs signé un accord de réciprocité sur nos modèles de protection des données. Cela signifie que les entreprises européennes et japonaises peuvent transporter des données entre nos deux régions.