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«Refaire le diagnostic, une urgence pour les élites». La chronique de Hakim El Karoui

« La Grande Dissociation entre les élites et le peuple s’est incarnée en France par l’alliance de ceux qui vont bien (avec Macron) contre ceux qui vont mal (divisés entre Le Pen et Mélenchon). Pour l’instant, ceux qui vont bien sont plus nombreux à voter que ceux qui vont mal. Mais, pour combien de temps ? »

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Le mouvement social qui agite une nouvelle fois la France a un côté rassurant : après les tumultes et la violence des Gilets jaunes, chacun retrouve ce qu’il connaît : des syndicats révolutionnaires et des syndicats réformistes, des manifestations bien organisées, des slogans attrape-tout, la France des inclus qui manifeste, le gouvernement qui affiche « sa détermination et sa volonté d’être à l’écoute », comme si les deux postures n’étaient pas antinomiques. La seule nouveauté, c’est qu’avant, on manifestait contre un projet qui avait été présenté, là on manifeste avant la présentation du projet.

Rien ne change donc. Et pourtant, tout a changé. Le monde d’abord : la désoccidentalisation s’accélère, l’Asie monte, le Proche-Orient se débat, la classe moyenne européenne et américaine prend peur car elle sait qu’elle ne fait plus l’histoire. Le populisme monte, l’autoritarisme politique devient un modèle de la réussite politique (Chine, Russie, Turquie, Hongrie), la démocratie n’attire plus.

Elites et classes moyennes n’auraient plus les mêmes intérêts : vous avez voulu la mondialisation et l’ouverture des échanges, nous l’avons payé ; vous avez voulu l’ouverture culturelle et le respect des différences, nous n’arrivons pas à intégrer les immigrés ; vous avez voulu l’Europe, ce beau projet d’intégration politique, nous devons supporter un Moloch administratif qui favorise toujours « les autres » et jamais nous. La classe moyenne britannique, âgée, provinciale, a fait sortir la Grande-Bretagne de l’Europe. Les « somewhere » ont battu les « anywhere ». La Grande Dissociation entre les élites et le peuple s’est incarnée en France par l’alliance de ceux qui vont bien (avec Macron) contre ceux qui vont mal (divisés entre Le Pen et Mélenchon). Pour l’instant, ceux qui vont bien sont plus nombreux à voter que ceux qui vont mal. Mais, pour combien de temps ?

La mondialisation, c’était formidable pour les élites économiques occidentales et la paysannerie chinoise, pas pour les classes moyennes occidentales

Dynamique mortifère. Alors faut-il attendre de se faire peur en 2022 avec une victoire étriquée d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen qui préfigurera une victoire de l’extrême droite en 2027 ? Ne faut-il pas dès maintenant casser cette dynamique mortifère en revisitant certaines convictions aujourd’hui datées ? La mondialisation, c’était formidable pour les élites économiques occidentales et la paysannerie chinoise, pas pour les classes moyennes occidentales. L’Europe doit produire une réflexion articulée sur le sujet de la régulation des échanges, maintenant que et la Chine et les Etats-Unis sont protectionnistes. Mais, l’Europe ne fonctionne plus tant les intérêts des pays divergent, notamment sur le plan économique. Ne peut-on pas organiser une réflexion de fond sur ce sujet en faisant le constat qui s’impose, quitte à prendre le risque de voir l’Europe s’interroger sur son existence même ? Le système social français meurt du choix de la rente qui est fait depuis quinze ans, fortuitement, sans débat, à cause du poids politique des retraités. N’est-ce pas le moment de promouvoir l’activité plutôt que la rente ? La planète brûle : faut-il changer de modèle de croissance ou trouver des solutions technologiques ?

La responsabilité des élites françaises aujourd’hui est là : refaire le diagnostic, reconnaître que le monde a changé et que les anciennes recettes ne fonctionnent plus. C’est tout l’équilibre occidental qui est en cause. C’est l’avenir de nos démocraties qui dépend de la justesse du diagnostic.