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Amélie de Montchalin, la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.
© Sipa Press

Amélie de Montchalin: «Cela ne suffit pas d’avoir un discours sur l’Europe puissance, il faut allouer les moyens nécessaires»

La secrétaire d’Etat aux Affaires européennes rappelle que « l’agriculture est le pilier de notre souveraineté » et récuse l’idée qu’il y aurait d’un côté des politiques « anciennes » et de l’autre de « nouvelles » politiques

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Les ministres des Affaires européennes de l’UE débattront mardi du cadre financier pluriannuel pour 2021-2027. La présidence finlandaise vient de présenter un cadre de négociation qui fixe le budget à 1,07 % du revenu national brut (RNB) des Vingt-Sept (1087 milliards sur sept ans) : les sommes allouées à la PAC seraient revues à la hausse par rapport aux propositions de la Commission, mais le budget défense serait fortement raboté. Le dossier sera jeudi sur la table des chefs d’Etat et de gouvernement. Dans un entretien à l’Opinion, la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, explique les attentes et lignes rouges de la France.

La présidence finlandaise de l’Union européenne vient de présenter ses propositions détaillées pour le cadre financier 2021-2027. Qu’en pensez-vous ?

Un budget, ce n’est pas qu’une ligne de chiffres, c’est la traduction concrète des moyens qu’on se donne pour atteindre des objectifs. C’est aujourd’hui que ça se joue, pour le climat, la défense européenne, la convergence sociale, la crédibilité de notre action extérieure. Ce document est une base de négociation qui pour nous contient des progrès par rapport aux propositions de la Commission, notamment dix milliards de plus pour l’agriculture. Avec une vingtaine de pays, nous nous sommes battus pour faire comprendre que les agriculteurs étaient au cœur de la transition écologique. Il faut maintenant travailler sur la répartition précise de cette enveloppe, en particulier pour améliorer leur revenu.

Cette augmentation ne risque-t-elle pas de peser sur les nouvelles politiques ?

Je récuse cette idée qu’il y aurait des politiques anciennes et de nouvelles politiques. Tout ce que l’on fait, on le fait pour construire une vraie souveraineté européenne. Or l’agriculture est le pilier de notre souveraineté, les agriculteurs ont en charge 80 % de l’espace européen, ce sont des champs et des forêts qui sont exploités. Un continent qui n’a pas d’agriculteurs sur son territoire n’est pas un continent souverain, c’est un endroit où l’on crée des no man’s land et des friches.

Un autre volet concerne le financement du budget…

Le deuxième progrès concerne les ressources propres, qui permettraient de taxer les acteurs qui bénéficient du marché intérieur sans apporter leur juste contribution : ceux qui importent en Europe des biens produits ailleurs qui ne respectent pas nos normes ; les acteurs du numérique et de la finance ; ceux qui mettent du plastique partout et ne le recyclent pas ; ceux qui sur le marché des permis carbone sont censés nous aider à faire la transition. C’est une question d’efficacité collective et de justice fiscale. D’autres projets, que soutient la France, sont à l’étude, comme la taxe sur le numérique, la taxe sur les transactions financières ou bien sûr le mécanisme d’inclusion carbone aux frontières.

Certains préfèrent à ce sujet parler de « taxe carbone »…

Ce ne serait pas une taxe, mais une forme d’élargissement du marché ETS (Emissions Trading System – Bourse européenne du carbone) aux biens qui sont importés, un mécanisme qui inclurait le prix du CO2 émis au moment où ce bien va être utilisé en Europe. C’est tout à fait possible de le faire rapidement pour des biens comme l’acier, l’aluminium, le ciment, le papier, le verre, la production d’engrais. Si on explique que ce n’est pas une taxe, que cela peut être modulé dans le temps, cela passera à l’OMC.

Quelles sont vos autres priorités ?

Avec 17 pays, la France a demandé que l’on acte la fin des rabais, puisque le Royaume-Uni ne sera plus dans l’UE et que le système actuel est devenu illisible et politiquement indéfendable. Nous menons aussi un combat sur les conditionnalités liées à l’Etat de droit, avec un groupe de pays très actifs. On ne peut pas expliquer aux citoyens que l’argent européen va sans distinction dans les pays qui ne respectent pas nos valeurs ! Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons beaucoup travaillé pour créer des coalitions de pays, permettre que des majorités émergent. Mais il faut faire encore plus. On aimerait par exemple que 30 % du budget, et non 25 %, soit alloué au climat : c’est tout à fait possible si on montre plus d’ambition sur la transition environnementale de l’agriculture. On veut ajouter à cela 10 % pour la protection de la biodiversité et la lutte contre la pollution, ce qui ferait un total de 40 % pour l’environnement.

Nous avons deux lignes rouges absolues : la défense et l’espace. Cela ne suffit pas d’avoir un discours sur l’Europe puissance, il faut allouer les moyens nécessaires

Le document finlandais propose aussi de diviser par deux le budget alloué à la sécurité et à la défense…

Nous avons deux lignes rouges absolues : la défense et l’espace. Cela ne suffit pas d’avoir un discours sur l’Europe puissance, il faut allouer les moyens nécessaires. Sinon, on ne peut pas être crédible, par exemple sur l’industrie de défense européenne. Mais la souveraineté ne fonctionne que s’il y a de la solidarité et de la convergence : l’acceptabilité politique du projet européen doit se faire pour tous et sur tous les territoires. Donc nous avons un point spécifique, qui concerne les territoires d’outre-mer, les régions ultrapériphériques, les régions en transition, tous ces espaces qui se sentent plus ou moins relégués, souvent ceux où il y a eu beaucoup de Gilets jaunes. C’est dans ces régions que l’Europe est décisive parce qu’elle démultiplie les efforts nationaux.

Il y a une double inquiétude, des contributeurs nets et des pays de cohésion. Comment la voyez-vous ?

Je la comprends, c’est pour ça que j’ai signé avec les quatre pays de Visegrad (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie) un texte qui insiste sur le mécanisme d’inclusion carbone. Ces pays ont très peur de ne pas pouvoir assurer le financement de leur transition écologique. D’un autre côté, aux Allemands, aux Néerlandais, aux Danois, à ce groupe de contributeurs nets dont la France fait partie, je dis que la seule manière de trouver un accord sans forte hausse des contributions, ce sont les ressources propres. Un accord sur le cadre financier est inévitable, indispensable. Notre objectif est de le trouver avant le printemps.

Emmanuel Macron donne l’impression d’avancer seul sur de nombreux sujets, comme l’élargissement, la Russie ou l’OTAN. La France ne risque-t-elle pas de se priver d’alliés en Europe ?

La rengaine « Europe divisée, France isolée » ne correspond pas au travail que je mène, aux échanges que j’ai avec mes partenaires. Nous voulons des sursauts, nous sommes exigeants, et il y a beaucoup de responsables qui le sont avec nous : ils ne le font pas toujours publiquement, mais si nous avons obtenu des progrès sur le budget, c’est parce que nous étions ambitieux, que nous avons tenu et que nous avons trouvé des alliés. Sur l’élargissement, une majorité de pays soutient l’idée que la Commission propose une procédure différente de négociations d’adhésion, qui soit plus tangible, plus efficace, plus convaincante.

Mais la présidente de la Commission Ursula von der Leyen veut que le processus de réformes se fasse parallèlement aux négociations…

La réforme du processus est un prérequis à l’ouverture de négociations d’adhésion. On peut se mettre d’accord dès le mois de janvier là-dessus. Ensuite il y aura bien sûr les détails techniques, l’écriture du texte, qui prendra du temps. Mais la France ne signera pas pour que la Macédoine du Nord et l’Albanie négocient en suivant le processus actuel, ce n’est pas possible.

L’image de la France en Europe ne risque-t-elle pas d’être ternie par les mouvements sociaux actuels ?

Tout le monde est très conscient que nous faisons des réformes difficiles, que nous le faisons pour les Français, que nous ne sommes pas là pour manier des symboles mais pour rendre notre pays plus efficace, plus adapté au monde moderne, et en faire un moteur européen. Chaque pays a ses défis, ses difficultés, ses processus politiques. Les problèmes d’image et de réputation ont pendant trop d’années servi d’excuse et de prétexte pour ne pas réformer la France.