Miami a la banane (et la basket)
by Gilles DenisÀ Miami, une banane à 120 000 dollars peut cacher une basket à 150 000 dollars… ou quand le luxe prend le pas sur l'art lors de Art Basel Miami.
Une banane à 120 000 dollars… : à Art Basel Miami, la galerie d'Emmanuel Perrotin a exposé et vendu la dernière œuvre de Maurizio Cattelan, une banane retenue par un scotch au mur. Une vraie banane de 200 grammes et une vraie œuvre, sobrement intitulée Comedian. Une banane qui a ouvert non seulement l'appétit des collectionneurs – les cinq éditions ont été vendues – mais également celui de l'artiste David Datuna qui, le 7 décembre, a dévoré sur le stand la banane en question – sans s'acquitter du prix. Ni le galeriste ni l'artiste n'ont a priori porté plainte devant ce happening arty…
Des baskets à 150 000 dollars
À dire vrai, ce goûter à 120 000 euros cachait mal (ou trop bien) d'autres records qui avaient ébranlé la foire avant même son ouverture. En l'occurrence le prix proposé on line pour une paire de baskets présentée le 3 décembre : plus de 150 000 dollars sur le site Stock X – spécialiste de la revente » pour un produit qui ne sera disponible qu'en avril. Plus que celui d'une basket, à dire vrai, ce prix est la métonymie des noces du business model de l'art et du luxe. La paire en effet était une « Air Dior », soit le fruit d'une collaboration inédite entre Nike et Dior, Kim Jones, directeur de l'univers masculin de la maison de l'avenue Montaigne, s'étant emparé du modèle Air Jordan pour le décliner diorissime entre jeux de dentelles Oblique et détails retravaillés. Un modèle qui suscite donc déjà plus d'appétit qu'une œuvre d'art estampillée comme telle.
Le signe que le produit de luxe est définitivement devenu un produit de culture. Les géants de l'industrie l'ont bien compris en investissant ainsi Miami au moment d'Art Basel.
Le mouvement initié il y a quelques années par Louis Vuitton et Fendi – en marge de la partie design de la foire – semblait s'être calmé depuis quelques années. L'édition 2019 aura été marquée par un retour en force du luxe dans ce bastion de l'art présentant le triple avantage d'atteindre de larges segments de clientèle réunis pour la foire, d'être présent sur un marché américain au sens large (Nord et Sud réunis) et de créer une plateforme de communication globale hors des moments dédiés normalement à la mode – les fameuses Fashion Weeks.
Un méga-show Dior
C'est la décision de Dior de faire défiler la collection pre-fall de Kim Jones le 3 décembre qui a donné le signal des hostilités. Dans une atmosphère surchauffée tenant de la superproduction hollywoodienne et du concert de rock, l'enfant chéri de la mode masculine a présenté un opus conjuguant son intelligence de la maison – on y retrouve une obsession très couture du détail –, son aptitude à l'inscrire dans une histoire contemporaine – la collaboration avec Shawn Stussy, fondateur de la marque surfwear de vêtements et accessoires Stüssy – et son sens de la désirabilité du produit.
La maille qui se vend
Si celle-ci culmine avec les « Air Dior », elle se conjugue aussi dans les pièces qui sont connues pour être celles qui se vendent toujours le mieux : au rayon chaussures, les sneakers entièrement rebrodées le disputent ainsi aux boots et aux mocassins sur lesquels les consommateurs se consoleront d'avoir raté les Air Dior ; au rayon accessoires, le bob – revu et corrigé par Stephen Jones – sera le hit de la saison alors que les déclinaisons autour du saddle assurent par avance les revenus de la marque ; quant au prêt-à-porter, au-delà de la maîtrise stylistique d'une collection multipliant les effets de superposition, la conjugaison du tailoring et du street (très vivace ici) et la bonne humeur d'une palette shootée aux couleurs de la Floride et de tropiques rêvées, la maille – catégorie phare dans l'achat masculin – s'affirme la plus forte de la saison, y compris dans des pièces spectaculaires reprenant le logo repensé par Shawn Stussy. Cette affirmation de puissance d'une masculinité post-Weinstein et d'un luxe post-genre s'est effectuée devant 1100 personnes (une jauge supérieure à celle d'un show parisien) et un aréopage de célébrités inédit pour un défilé masculin de David Beckham à Kim Kardashian, de Ricky Martin à Xavier Dolan, via Bella Hadid, Travis Scott ou bien encore Kate Moss, sans oublier la fine fleur du monde de l'art, dont la famille Rubell. Logique, c'est devant son nouveau musée d'art contemporain que Dior s'était installé et c'est à l'ouverture en avant-première de ses galeries qu'étaient conviés les invités après la découverte de la collection…
Les noces du luxe et de l'art
Les noces du luxe et de l'art se sont naturellement poursuivies tout au long de la semaine. Les pionniers de la foire étaient là : Fendi – présent depuis 2008 – dévoilait dix pièces de mobilier travaillées avec le duo de Kueng Kaputo – et en profitait pour jouer avec son iconique sac baguette, proposé en version limitée et surtout parfumée par Francis Kurkdjian. Louis Vuitton de son côté présentait ses derniers objets nomades signés Andrew Kudless, alors que Bottega Veneta et Loewe célébraient l'ouverture de leurs négoces. Quant à Berluti, le buzz se créait autour de l'édition de 17 meubles mythiques de Pierre Jeanneret présentés avec la galerie Downtown de François Laffanour. Kris Van Assche, directeur artistique de la maison et lui-même collectionneur de design, s'était emparé des fauteuils et autres days beds en les recouvrant du cuir iconique de la marque Venazia, jouant des patines pour une palette évoquant à la fois les nuanciers du Corbusier et les tons de Chandigarh, la cité imaginée par l'architecte avec Jeanneret. Le 8 décembre, alors que la foire fermait ses portes, l'ensemble était sold out… Là encore, la métonymie de l'assise du luxe dans le design et l'art. Et vice versa.