Contre la surveillance génomique
Il suffit d'avoir accès aux profils génétiques de 2 à 5 % d'un groupe de population pour espérer pouvoir déployer une forme de surveillance génétique de ce groupe, rappelle Yves Moreau, professeur de bio-informatique et spécialiste de la génétique à l'université catholique de Louvain, dans Nature.
Or, les bases de données génétiques privées américaines contiennent d'ores et déjà les identifiants de 5 % de la population américaine.
Et le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), mis en œuvre par le ministère de l'Intérieur français, comptait en 2018 près de 3,5 millions de profils génétiques de personnes dûment identifiées, soit plus de 5 % de la population française.
C'est d'ailleurs grâce à une recherche en parentèle que la gendarmerie française avait réussi à identifier, en 2012, le père du meurtrier d'Élodie Kulick, une première en France. Aux USA, la police effectue elle aussi de plus en plus de recherches en parentèle dans les bases de données privées afin de résoudre des « cold cases » et identifier les parents de meurtriers.
Alors que le New York Times vient de révéler que la police chinoise utilisait des technologies occidentales pour recréer les images des visages des Ouighours, à partir de leurs ADN collectés en masse, Yves Moreau s'élève contre les risques associés à cette surveillance génomique.
Il déplore, à l'instar du NYT, la complaisance des éditeurs scientifiques occidentaux, prompts à valider et publier les résultats des chercheurs policiers chinois. Mais également la complicité des industriels occidentaux, principaux fournisseurs de technologies génétiques et biométriques.
Il fustige également les contrôles à l'exportation qui, soit ne prêtent pas l'attention voulue à ces technologies sensibles, soit présentent des lacunes qui les rendent souvent inutiles.
Les lois américaines interdisent par exemple l'exportation de la technologie de reconnaissance d'empreintes digitales vers certaines destinations ou certains utilisateurs jugés problématiques, comme la police chinoise.
Mais elles ne limitent pas l'exportation de technologies de profilage génétique et de reconnaissance faciale plus invasives... En outre, l'Union européenne ne réglemente pas l'exportation de la biométrie des empreintes digitales, alors que les principaux fournisseurs mondiaux sont européens.
« Nous devons tous nous méfier d'un monde dans lequel nos données comportementales, financières et biométriques, y compris nos profils génétiques, ou même des séquences entières du génome, sont à la disposition des entreprises – et donc potentiellement des forces de l'ordre et des partis politiques », écrit Moreau.
« Sans les changements décrits plus avant, l'utilisation de l'ADN pour la surveillance au niveau des États pourrait devenir la norme dans de nombreux pays ».