https://img.20mn.fr/drZXUNsYRuqQ3LYhAnopaw/310x190_fred-musa-plateau-planete-rap.jpg
Fred Musa sur le plateau de — Léo Delay

« Je ne crois plus en l'artiste maudit aujourd'hui », estime Fred Musa

Pour clore cette riche décennie pour le rap, « 20 Minutes » met en lumière des chroniqueurs, animateurs et youtubeurs passionnés de la musique la plus écoutée du XXIe siècle

by

Pour clore cette riche décennie qu’ont été les années 2010 pour le rap, 20 Minutes met en lumière des chroniqueurs, youtubeurs et passionnés de la musique la plus écoutée du XXIe siècle. Et dans ce domaine, comment passer à côté de Fred Musa ?

Depuis plus de 20 ans, il répond quotidiennement à l’appel du hip-hop, en présentant Planète Rap sur Skyrock, tous les soirs de 20h à 21h, et en nocturne le vendredi. L’animateur a vu passer plusieurs générations de rappeurs, et a pu observer l’évolution des regards portés sur ces artistes et cette musique, qui reste toujours selon lui, un « acte politique ».

A la fin des années 1990, lors du lancement de cette émission, comment les médias parlaient-ils du rap ?

Le rap était présent sur des radios très locales, très thématiques, comme Nova à Paris, ou FPP, une petite radio associative, mais à un niveau national ça n’existait pas ! Dans l’histoire, il y a quand même eu TF1, même si ça n’a pas tenu très longtemps, qui diffusait H.I.P.H.O.P dans les années 1980, M6 qui diffusait dans les années 1990 l’excellente émission Rapline d’Olivier Cachin. Mais tout ça n’était que des épiphénomènes… Sidney était diffusé le dimanche après-midi et avait une belle exposition, mais Rapline il fallait aller le chercher le samedi soir, très tard… Il n’y avait aucune radio au niveau national qui mettait en valeur cette musique. Et c’était d’autant plus compliqué du fait qu’une deuxième scène était en train d’exploser : Lunatic, Secteur Ä, la Fonky Family… Il y avait une sorte d’ébullition qu’on a appelée l’âge d’or du rap français.

Ensuite, « Planète Rap » est devenu un passage incontournable pour les rappeurs français. Est-ce toujours le cas ?

Ça l’est toujours parce que ça reste une belle vitrine d’avoir 100.000 auditeurs par soir, sans oublier les vidéos, dont certaines comme celle de Soolking atteignent les 230 millions de vues. Ce n’est peut-être pas un passage obligé comme ça l’a été à une époque, car maintenant il y a le streaming, plein de sites Internet qui se sont développés, comme Booska-p, mais ça le reste pour un rappeur populaire.

Certains artistes vous en veulent de ne pas passer dans votre émission ?

C’est moins compliqué qu’à une époque où quand tu ne passais pas sur Sky, tu pouvais te dire que ta carrière en dépendrait. Désormais, à partir du moment où tu as créé ta fanbase, comme Gambi par exemple, qui explose depuis quelques mois, tu vas venir sur Skyrock pour l’élargir. Mais avant ça pouvait être plus compliqué parce que d’une certaine manière on avait un monopole. J’ai toujours détesté avoir le monopole de quelque chose, ou que quelqu’un l’ait, parce que tu es toujours obligé de faire des choix et il y en a forcément certains à l’écart qui peuvent t’en vouloir.

C’est terminé le temps où on vous reprochait de formater un certain rap, plutôt commercial ?

Je me souviens de cette époque où on nous disait « oui vous formatez, maintenant ça chante dans les refrains, il y a des nanas du R’n’B… » Cette mode est arrivée par les Etats-Unis et ça s’est propagé partout où il y avait du rap. Je ne vois pas à quel moment on serait intervenu pour dire aux rappeurs de chanter ça ou ça. Et puis aujourd'hui, je ne crois plus à « l’artiste maudit », celui qui est dans son coin, avec beaucoup de talent et que personne ne voit. Avec toutes les technologies que tu as - pouvoir balancer en streaming, faire parler de soi - tu ne peux plus avoir d’artistes maudits. Les compteurs sont vraiment remis à zéro. Et d’où que tu sois ! A une époque tu avais l’axe Paris-Marseille, et hormis ça il n’y avait rien qui pouvait vraiment exploser. Maintenant Orelsan vient de Caen, Bigflo et Oli de Toulouse, Gradur du Nord… La donne a changé, ça explose de partout.

Celui qui a pu vous clasher, c’est Booba. Au final, est-ce que ça vous agace ou est-ce que ça vous fait rire ?

Le truc qui m’agace c’est quand il dit qu’on n’a pas notre place ici, grosso modo parce qu’on est des petits blancs. C’est ce qu’il sous-entend. Je ne parle pas de racisme anti-Blancs parce que je n’aime pas du tout ce terme, mais il joue sur ce côté que ce sont des blancs qui sont à la tête de cette radio, le côté « colon » ! Arrête ! Parce que déjà tu es un métisse, et de jouer avec des faits aussi dramatiques de l’histoire, je trouve ça dégueulasse. Ça, ça me gêne. Après le reste ça m’a toujours fait rire et j’ai toujours dit que c’était mon meilleur attaché de presse parce qu’à chaque fois qu’il parle de moi, ça fait augmenter mon nombre de followers ! Donc qu’il continue.

Pourquoi avoir pris la décision de filmer les émissions depuis quelques années ?

Planète Rap, c’est un truc de fou à vivre ! C’est une émission qui se regarde aussi. Je suis un intégriste de la radio et j’ai toujours dit que ça devait s’écouter avant tout et je n’aimerais pas être filmé en permanence, notamment lors de mon émission le matin où je me réveille tranquillement, mais il y a quand même certaines émissions où tu ne peux pas aller contre, pour ressentir ce qu’il se passe.

Et à combien on rentre dans le studio ?

Bonne question ! Les derniers comptes on était à 110 personnes [pour 20-25 m²], et ça a été très serré, et très chaud.

Comment gérer autant de personnes dans un si petit studio ?

On ne gère pas en fait ! Chacun vient et fait sa vie ! Moi je suis concentré sur l’émission, j’ai mon casque qui me permet de m’isoler, je me crée ma propre bulle parce que c’est vrai que ça peut être parfois un peu déstabilisant. Mais ici il y a une chance qui est assez folle, si on reçoit autant de monde c’est qu’il vienne pour soutenir, et pas pour foutre le bordel.

Et comment fait-on pour éviter des dérapages, verbaux notamment ?

Il y a des moments où je suis obligé de reprendre un peu. Il y a eu l’histoire avec RK que j’ai appréciée à moitié. L’artiste est là, on doit être 60 ici, et un gars arrive d’un seul coup au micro, et dit « nique la grand-mère à Laurent Bouneau » ! Moi, un peu surpris quand même au début, je me demande si c’est une blague, puis je dis au mec « si c’est ça tu sors tout de suite », et les mecs de la sécu l’ont foutu dehors. Je ne dis pas que je suis tout le temps vigilant, il y a forcément des trucs que je laisse passer, mais jamais je ne pourrai tolérer un appel à la haine, au meurtre, au viol ou je ne sais quoi. Il faut une vigilance de tous les instants.

Vous avez en tête des émissions où c’était particulièrement compliqué à gérer ?

Non, après il y a des émissions, comme avec Lomepal où je finis en volant, c’est un peu plus compliqué à gérer, ou comme le coup de Shay où deux paires de fesses t’arrivent en pleine tête ! Ça fait partie aussi du direct, c’est ça aussi qui est bon. On a la chance, et je le dois énormément à la direction, d’avoir une liberté intégrale. Dans d’autres radios il y aurait plein de directions qui auraient lâché. Je pense qu’il y a très peu de radios où on pourrait arriver avec 100 personnes. Dans n’importe quel média il faut badger pour rentrer, là on a juste installé des détecteurs de métaux mais c’est tout ! Et on l’a installé parce qu’à l’époque on avait reçu des menaces non pas du milieu du rap, mais de Daesh…

Au bout de 23 ans, il n’y a pas une certaine lassitude qui s’installe ?

Non parce que ça change toutes les semaines ! Et quelle lassitude ? J’avais 15 ans quand j’ai commencé la radio, j’en ai maintenant 46, ça fait plus de 30 ans que je vis de ma passion, c’est une chance incroyable ! Il y a des moments de doutes, de se dire est-ce qu’il ne faut pas arrêter, mais je suppose que c’est des questions que tout le monde se pose dans ces genres de métiers.

Vous n’avez pas la crainte d’être dépassé à un moment ?

Ce n’est pas vraiment une crainte mais oui ça peut m’arriver parfois ! C’est de me dire, « est-ce que je comprends bien ce que le mec veut me raconter ? » La chance d’être dans le rap c’est qu’on est sur une bande-son de plusieurs générations, et le rap est aussi une porte d’entrée pour comprendre un peu ce qui se passe au niveau sociétal, et c’est peut-être pour ça que je suis encore dedans. Quand je n’aurais plus ça, je me dirais « mec tu commences à devenir un vieux, un aigri, part en retraite » !

Quel œil portez-vous sur la dernière décennie qui s’est écoulée pour le rap ?

Souvent on me dit que le rap c’était mieux avant, les paroles, que là ça ne parle que de la drogue, des flics… Oui mais je trouve que ça reste surtout un acte politique. Je reste très positif et optimiste, on est dans une période complexe où ce n’est pas sympa tous les jours pour tout le monde, il y a quand même encore des moyens de nous rassembler, et cette musique en fait partie. Ecouter cette musique et aller voir ces artistes en concert, ça reste un acte politique, au moment où tout le monde se fout sur la gueule et où on aime bien entretenir ça, surtout dans les médias où l’on va prendre des gens qui vont cliver parce que ça va être le cirque. Oui les paroles de cette musique ont peut-être changé, mais en concert il y a toute la société. Je suis sûr qu’il y a même des gens de l’extrême droite, de l’extrême gauche, mais à un moment on passe deux heures ensemble et pour moi l’acte politique est là.

Les médias généralistes s’intéressent de plus en plus au rap, qu’en pensez-vous ?

C’est normal, c’est la musique qui est la plus écoutée et maintenant il y a plusieurs générations, IAM existe toujours, NTM aussi. Ils ont dit que c’était la dernière mais je ne suis pas certain que dans 4-5 ans… Ils remonteront sur scène, ils aiment trop ça les deux ! Pour moi ce sont les Rolling Stones, ils seront là encore même à 70 ans ! Il y a un public qui a vieilli avec eux, et il y a un public pour Gambi, Jul, Gradur… Il y a un panel qui n’a jamais été aussi large. On a vécu l’âge d’or du rap français, maintenant on vit l’âge de platine, en attendant l’âge de diamant.

Culture«Je ne fais pas du rap, c'est un délire, c'est du Soolking»CultureRK: «J’ai commencé à fumer, je me suis blessé, j’ai lâché les terrains de foot… J’ai fini artiste»

Une faute ? 41 commentaires 174 partages