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Les policiers autour du corps d'un des violeurs présumés abattus à Shadnagar le 6 décembre 2019 AFP - STR

En Inde, le vieux fléau des exécutions extrajudiciaires policières

La mort aux mains de la police de quatre suspects d'un viol en réunion remet en lumière le fléau des exécutions extrajudiciaires en Inde, un recours expéditif dénoncé de longue date par les défenseurs des droits humains.

La police du Telangana (sud de l'Inde) avait arrêté quatre hommes soupçonnés d'avoir, il y a près de deux semaines, violé et assassiné une vétérinaire de 27 ans d'Hyderabad avant de brûler son corps. Cet énième crime sexuel sordide a choqué le pays d'Asie du Sud et suscité des appels au lynchage des suspects.

Vendredi, au cœur de la nuit, les suspects ont péri sous les balles des forces de l'ordre, au cours de ce que l'Inde interprète sans ambiguïté comme une exécution de sang-froid. Selon la version officielle, les détenus ont tenté de s'emparer d'armes lors d'une scène de reconstitution du crime, forçant les policiers à ouvrir le feu en légitime défense.

Des foules ont fait un triomphe aux policiers impliqués, descendant dans la rue, les recouvrant de pétales de roses, en estimant qu'une "justice rapide" avait été appliquée.

"La loi a fait son devoir", a déclaré à la presse le chef de la police locale V.C. Sajjanar.

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Veillée funèbre en hommage aux victimes de viol à Bangalore le 6 décembre 209 (AFP - Manjunath Kiran)

Ces "faux affrontements" ("fake encounters") sont une pratique courante en Asie du Sud, critiquée depuis des années par les défenseurs des droits humains qui y voient un déni de justice et un signe de la culture d'impunité de la police. Les forces de l'ordre y abattent des suspects en affirmant qu'ils essayaient de s'enfuir ou de résister à une arrestation.

- Contre-insurrection -

Cette tactique a été particulièrement utilisée pour court-circuiter le système judiciaire lors de la lutte contre des mouvements séparatistes armés au Bengale occidental, au Penjab, au Cachemire ou dans les États isolés du nord-est de l'Inde.

Mais plus récemment, ces exécutions ont commencé à être utilisées contre des suspects de crimes violents.

"Au cours des décennies, les exécutions extrajudiciaires et les tortures en détention ont réussi à se placer hors du domaine de la loi en Inde", indique à l'AFP Colin Gonsalves, avocat à la Cour suprême et fondateur du Human Rights Law Network.

"Il est inquiétant que la criminalité de la police reçoive désormais le soutien du public", ajoute-t-il.

Après la mort des suspects d'Hyderabad, globalement saluée à travers le pays de 1,3 milliard d'habitants, le président de la Cour suprême a exprimé sa préoccupation face à cette "justice instantanée".

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Des Indiennes célèbrent l'exécution des violeurs présumés à Ahmedabad le 6 décembre 2019 (AFP - SAM PANTHAKY)

"La justice ne devrait jamais être instantanée. La justice ne doit jamais adopter la forme de la revanche. Je crois que la justice perd son âme lorsqu'elle se mue en revanche", a déclaré Sharad Arvind Bobde lors d'un discours samedi.

Dans un pays friand de cinéma, certains responsables policiers "spécialistes" de telles exécutions sont mis sur un piédestal par Bollywood. D'innombrables films les représentent en héros et glorifient leurs actes, particulièrement la mort de centaines de gangsters présumés à Bombay dans les années 1990.

Les détracteurs de ces méthodes estiment qu'elles servent de moyen de représailles à la police, ou sont utilisées pour couvrir une enquête bâclée, gagner des récompenses ou apaiser des foules réclamant le prix du sang.

Selon un rapport gouvernemental, 100 suspects sont morts en détention policière en 2017 en Inde. Aucun des 33 policiers arrêtés en lien avec ces décès n'a été condamné.

Les opposants aux exécutions extrajudiciaires estiment que le nombre réel de victimes est bien supérieur, et que beaucoup de ces morts sont déguisées en suicide ou en décès de mort naturelle.

- Lenteur de la justice -

En 2014, la Cour suprême a essayé d'endiguer ce phénomène. Elle a ordonné des enquêtes obligatoires dans chaque cas et a interdit aux gouvernements locaux de récompenser des policiers avant que soit déterminé dans quelles circonstances et pourquoi sont morts les suspects.

La haute instance judiciaire suit actuellement de près des enquêtes sur des affaires dans le petit État du Manipur (nord-est), où les défenseurs des droits humains estiment que la police a abattu de sang-froid 1.530 suspects depuis 2007 dans le cadre de sa lutte contre une insurrection locale.

Le ministre de l'Intérieur Amit Shah soutient que les autorités ne tolèrent pas les exactions policières. Lui-même a bénéficié d'un non-lieu à l'issue d'une enquête sur l'exécution extrajudiciaire d'un gangster et sa femme en 2005, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur du Gujarat (ouest).

Pour les partisans des "faux affrontements", ceux-ci permettent d'éviter l'extrême lenteur du système judiciaire indien, où près de 30 millions d'affaires sont en attente de jugement. Les procédures judiciaires peuvent parfois mettre des décennies à atteindre leur conclusion.

Dans l'affaire d'Hyderabad, "la jeune femme n'a pas obtenu justice et les hommes tués ne l'auront pas non plus", regrette l'activiste Mihir Desai, opposant à ces exécutions arbitraires.