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Le régime spécial de la RATP existe depuis 1924.(Reuters)

Retraites : la longue histoire des régimes spéciaux et de leur disparition progressive

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Plusieurs dizaines de ces régimes spéciaux, datant parfois du 18e siècle, n'existent déjà plus, rappelle le journaliste François Charpentier*.

Alors que le projet de ­réforme des retraites concerne les 42 ­régimes existants, le débat se focalise principalement sur les régimes spéciaux, douze à l'heure actuelle. Ils font à la fois office de base et de complémentaire. Ils sont intrinsèquement déficitaires. Financés par des cotisations, ils bénéficient de la "compensation démographique" – les régimes à la démographie excédentaire aident les régimes déficitaires – et d'une "subvention d'équilibre" de l'État. Autrement dit d'un concours des contribuables.

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Déployés au 19e et au 20e siècle, ils étaient initialement très nombreux, cette atomisation du paysage tenant à des facteurs historiques. Dans tous les pays, la mise en place des États nations au 18e siècle s'est traduite par des couvertures vieillesse permettant de détacher du travail de la terre les missions des militaires et des fonctionnaires. En France, le premier grand ­régime a été unifié dès 1853 : celui des fonctionnaires civils et militaires.

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Une centaine de régimes spéciaux à la fin des années 1980

Alors que la loi Le Chapelier de 1791 a fermé la porte à toute négociation collective de régimes de ­retraite dans le privé, l'État a protégé ses agents des secteurs stratégiques de l'énergie et des transports. C'est la mise en place de 18 régimes de cheminots à partir de 1850, puis leur unification en 1911 ; la création, à partir de 1830, de régimes miniers par bassin d'emploi ou par "substance" (charbon, fer, potasse, etc.) et leur unification en 1914. Mais aussi la création de celui de la RATP en 1924 ; de celui des gaziers et électriciens en 1928 ; des clercs et employés de notaires en 1937.

À cela s'ajoutent des "petits" régimes (Opéra de Paris, ­Comédie- Française), parfois exotiques (comme le chemin de fer franco-éthiopien). Se mettent en place des régimes dans les tabacs et ­allumettes, chez les marins ou dans les 12 grandes banques (un par enseigne), chez les 180.000 agents de la Sécurité sociale, les personnels au sol d'Air France, les salariés des compagnies d'assurance, des cultes… Jusqu'à la fin des années 1980, la commission des comptes de la Sécurité sociale en détaillait plus d'une centaine.

Sans compter les régimes "autonomes", eux aussi visés par la réforme Macron. On pense à ceux des ­députés et sénateurs mis en place en 1904 et 1905. En dépit d'aménagements par les parlementaires, ils restent très avantageux pour leurs bénéficiaires. Que l'on songe à la "­réserve" du Sénat, plus de 1,4 milliard d'euros, alimentée chaque année par une fraction de l'impôt sur le revenu votée par les sénateurs eux-mêmes. Les députés y ont pour leur part renoncé…

il reste une douzaine de régimes spéciaux

En 1991, le livre blanc sur les ­retraites met l'accent sur leurs ­déséquilibres. Deux options ­s'ouvrent alors. Quand le déficit est trop fort, la fermeture est organisée : ainsi à la Seita et pour le régime des mineurs (1.327 ­cotisants en 2019 et 241.130 bénéficiaires), financé à 82 % par l'État.

Une majorité est également intégrée à l'interprofession dans des conditions "actuariellement neutres". Les assurés sont transférés à l'assurance vieillesse, à l'Agirc et à l'Arrco (régimes complémentaires des cadres et non-cadres) avec les mêmes cotisations et les mêmes droits que dans le privé. Si des avantages sont maintenus, ils sont payés par leurs bénéficiaires. Plusieurs dizaines de régimes spéciaux disparaissent ainsi du paysage.

Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'une douzaine : celui des fonctionnaires, des ouvriers de l'État, les industries électriques et gazières, la SNCF et la RATP (320.000 ­cotisants et 500.000 ­bénéficiaires), les ­marins (30.000 cotisants, 109.000 bénéficiaires), les clercs et employés de notaires, l'Opéra de Paris, la ­Comédie-Française, la Banque de France, le Port autonome de ­Strasbourg. Trait commun, tous émargent au budget de l'État via leur subvention d'équilibre : 7,5 ­milliards d'euros en 2019, dont 3,2 pour la seule SNCF (141.000 ­cotisants et 256.000 ­bénéficiaires), 1,3 pour les ouvriers de l'État, 813 ­millions pour les marins et 710 pour la RATP (42.000 ­cotisants et 50.000 ­retraités).

*Le journaliste François Charpentier est l'auteur d'Une nouvelle sécurité sociale, de ­Bismarck à Macron, éd. Economica.