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Le 5 décembre, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour manifester contre la réforme annoncée du système de retraites. Photo © Sabrina Dolidze/SIPA

Gilets jaunes, réforme des retraites : ce que nous dit la France qui grogne

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Pour Arnaud Benedetti, professeur-associé à la Sorbonne, le mouvement qui s’infiltre au cœur de l’hiver, par-delà l’épineux dossier des retraites, illustre d’abord la crise sociale de l’Etat français. Décryptage.

Les manifestations du 5 décembre sont le témoignage d’un pays inquiet. Elles ne disent pas la vérité, mais à tout le moins une vérité. Comme l’éruption des gilets jaunes exprimait aussi une part de la réalité socio-politique du pays. Le mouvement qui s’infiltre au cœur de l’hiver, par-delà l’épineux dossier des retraites, illustre d’abord la crise sociale de l’Etat français. Ce sont les gros bataillons de la fonction publique qui ont défilé le 5 décembre. Leur préoccupation était celle aussi d’agents de l’Etat qui s’estiment assiégés par les logiques comptables de Bercy, comme les territoires périphériques de l’hiver 2018 qui se sont soulevés traduisaient le dépérissement de l’Etat aménageur. Vieux pays colbertiste, né de l’énergie étatique comme aucune autre nation au monde, ces deux France, celle des fonctionnaires et celle des terroirs, constituent le bloc sociologique central d’une société qui s’est construite historiquement autour de cette idée-force de la puissance publique comme bras armé de l’organisation de la collectivité, référence monarchique oblige, et du service public et de la redistribution, socle républicain issu entre-autre du Conseil national de la résistance.

L'exception française sacrifiée sur l'autel de la mondialisation

C’est bien le sanglot de cette cité protectrice qui convulse les groupes qui se mobilisent ainsi de part et d’autre, des bureaux administratifs aux cantons ruraux ou péri-urbains, alors que les coups de boutoir de la mondialisation n’en finissent pas de déstabiliser l’édifice historique qui, de facto, a fait tenir la France. Or, tout le problème d’Emmanuel Macron est qu’il appartient à l’hinterland de la technostructure acquise à l’idée de l’irréversibilité de la globalisation. Énarque formé dans une culture étatique, professionnel de l’action publique dont le marqueur d’origine est celui du service de l’Etat, il s’estime tant par nécessité que par conviction le vecteur de l’aggiornamento mondialisé. En soi, le chef de l’Etat constitue une métaphore des contradictions qui travaillent au corps et à l’âme les élites : une noblesse qui dessert la table de l’Etat qu’on lui a appris à dresser… L’exception française, dont il est le produit, est sommée de s’adapter aux standards du monde globalisé. Les grands serviteurs en sont réduits à devenir les scribes d’une feuille de route méta-étatique. Les turbulences sociales qui balayent le pays depuis une année ne sont rien d’autre que la résistance à un processus qui n’est pas forcément « la route de la liberté » dont rêvait le grand Friedrich Hayek…