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Pierre Thomas, policier municipal de l'école maternelle du Ray-Gorbella, range des agrès de l'activité permis piéton avant de se rendre à la sortie de 11 h 30.
Photo Laurent Carré pour Libération

A Nice, «Pierre la peau lisse» essaie de se faire une place à l'école

A l'initiative du maire LR, Christian Estrosi, des ASVP de la police municipale ont été intégrés dans les écoles qui ont accepté l'idée, au nom de la prévention du risque terroriste. Une initiative qui ne fait pas l'unanimité. «Libération» a suivi l'un d'entre eux.

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Un bruit métallique accompagne les journées de Pierre Thomas, entre ses doigts les clés s’entrechoquent. S’il ne quitte jamais son trousseau, c’est que cet agent de surveillance de la voie publique (ASVP) de la police municipale passe ses journées à ouvrir et à fermer le portail de la maternelle du Ray-Gorbella de Nice. C’est lui qui filtre l’entrée des élèves, la venue des intervenants et la réception des livraisons. Pierre assure la sécurité. La préfecture des Alpes-Maritimes est la seule ville de France à avoir intégré un policier dans ses écoles.

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Les clés sont passées de sa main à sa poche. La rentrée des classes terminée, Pierre rejoint vite son bureau. C’est dans l’ancienne infirmerie qu’il a installé ses deux écrans qui retransmettent les douze caméras de vidéosurveillance. D’ici, il surveille les véhicules sur le trottoir, les attroupements, les mouvements de foule. Pierre est attentif. Sa mission, c’est la «levée de doute». «Récemment, j’ai retrouvé un sac avec un carton à l’intérieur. Ça aurait pu être un colis piégé laissé devant l’école, pointe-t-il. J’ai mis en place un périmètre de sécurité. Finalement, une maman l’a récupéré vingt minutes après.» Depuis sa prise de fonction en février, il a aussi alerté les pompiers pour un nid de frelons, proposé de rehausser une barrière et d’installer une paroi occultant. Le matin même, Pierre est intervenu auprès d’un automobiliste garé devant le portail. «Il était stationné sur l’accès des pompiers, note l’ASVP. Je lui ai demandé de partir car je suis surtout là pour appliquer le plan Vigipirate.»

«Non merci»

La lutte contre le terrorisme, c’est la motivation de Christian Estrosi pour «sanctuariser» les établissements scolaires depuis avril 2018 et mener son expérimentation : «Aujourd’hui, en tête de liste des cibles de Daech, il y a les enfants et les écoles», affirmait alors le maire LR de Nice. A la rentrée 2019, 18 conseils d’école ont voté à l’unanimité l’intégration d’un ASVP. «Seules 18 sur 154 : ça veut bien dire non merci aux policiers, estime Lætitia Siccardi, présidente de la FCPE. On revendique une école non pas sécurisée mais sécurisante où l’enfant peut se construire. On veut des adultes formés assurant une présence éducative avec du sens : des psychologues, des intervenants culturels, des enseignants.»

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Officiellement, Pierre a été sélectionné pour son «appétence à travailler en milieu scolaire» et son «investissement». Lui affirme que «ça s’est fait par hasard», une place s’étant libérée le jour de son intégration. Avant, il travaillait en restauration et en livraison. Alors, à 25 ans, il est retourné sur les bancs de l’école pour dix jours de formation. Deux anciens agents de la police nationale lui ont dispensé «la pédagogie des enfants» et «le repérage des comportements suspects». Un kit pédagogique, avec coloriages et labyrinthes, lui a été remis pour aborder les dangers de la route, Internet et les métiers de la police.

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Après la récréation, Pierre passe en classe. En uniforme – arme et casquette non comprises, elles sont interdites à l’école –, il anime ce vendredi-là une séance permis piéton. Sous le platane de Ray-Gorbella, il trace à la craie un parcours. Avec l’enseignante et le policier, les moyenne section apprennent à respecter les feux tricolores, traverser sur les passages cloutés et maîtriser leur vitesse en draisienne. «Je n’ai eu aucune remontée négative, affirme l’inspectrice académique, Karine Beauvais-Ricci. Il y a une vraie appropriation des acteurs de la société. Le policier incarne la sécurité routière : les élèves mettent un nom sur un visage.» Sur la route miniature, des pilotes maîtrisent leurs dérapages et des petits piétons passent au feu rouge. «On ne court pas quand on traverse !», répète Pierre, recadrant le moindre débordement.

«Pierre la peau lisse»

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Dans l’école, le policier ne fait pas polémique, sa présence ayant été acceptée à l’unanimité. L’ASVP participe au carnaval et affiche les dessins au-dessus de ses écrans. Les élèves le surnomment «Pierre la peau lisse» et lui ont chanté joyeux anniversaire le jour de ses 26 ans. Il s’est même trouvé une nouvelle mission : apaiser les tensions entre les parents divorcés qui se retrouvent devant le portail. «Le policier n’est pas un pion, dit Richard Gianotti, directeur de la police municipale de Nice. Sa plus-value est indéniable dans cette corporation qui n’a pas les réflexes de sécurité. Il les décharge de ce problème de sûreté.»

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Mais Christian Estrosi voulait que l’agent soit armé. «C’est un regret, reconnaît son directeur de cabinet, Anthony Borré. La logique que nous défendons n’est pas d’avoir un flingue dans la classe mais dans un local sécurisé. Le risque majeur n’est pas tant dans l’école, il est aux entrées et sorties.» L’éventualité d’une attaque terroriste, Pierre y pense : «Je serai en première ligne. C’est ce qui me fait un peu peur, reconnaît-il. Le port d’arme me rassurerait.» Pour le moment, il dispose d’un gilet par balle, d’un talkie-walkie et d’un bouton d’alerte. «Pour des gamins, c’est extrêmement violent et antipédagogique, réagit Gilles Jean, secrétaire général du Snuipp 06, premier syndicat enseignant du primaire. Les thématiques de citoyenneté sont abordées en classe, ils n’ont pas besoin d’être agressés par la vue d’un pistolet.»

Il est déjà 11 h 30 à l’école du Ray-Gorbella, l’heure de retourner au portail. «Pierre la peau lisse» contrôle la sortie des maternelles et referme à clef. Plus loin, les élémentaires sortent seuls : leurs parents et enseignants n’ont pas accepté l’entrée d’un policier dans leurs rangs.

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