Comment bien recadrer un collaborateur
Lorsqu'un collaborateur pose problème, il faut se décider à agir. Un exercice d'équilibriste, qui exige de la rigueur et de plus en plus de bienveillance.
«Recadrer quelqu'un, ce n'est jamais agréable», admet Christophe qui dirige un département au sein d'une maison d'édition juridique. Céline, responsable du service client d'une grande entreprise de transport, l'avoue tout de go : «Le mot recadrer est horrible, il me fait penser à l'école.» Pourtant Christophe et Céline, qui dirigent à temps plein des centaines de collaborateurs, sont fréquemment tenus de remettre les points sur les i. Un exercice d'autant plus difficile en entreprise que l'heure est désormais à la communication bienveillante.
«Aujourd'hui, on attend des managers qu'ils maîtrisent parfaitement les soft skills et plus particulièrement l'écoute active et l'empathie», explique Axèle Lofficial, directrice talent et développement chez BPI Group. Dans ce contexte, impensable de recadrer comme avant, le management à la papa, tendance «surveiller et punir», s'avérant aussi dépassé que contreproductif, comme l'ont montré toutes les études sur le sujet. S'il reste un moment délicat, le recadrage moderne doit devenir l'occasion de dissiper des malentendus et de faire progresser ses troupes. Voilà sans doute pourquoi «de plus en plus de managers se forment à la communication non-violente et au feed-back», constate Axèle Lofficial, qui se dit persuadée que «le recadrage et la bienveillance ne sont absolument pas antinomiques». A condition toutefois d'avoir l'art et la manière de poser les (bonnes) limites.
Selon Christophe, le préalable nécessaire au recadrage est une séance d'auto-analyse. «Je commence toujours par vérifier que mes reproches ne sont pas des jugements de valeur. Si le comportement d'un collaborateur me dérange, je me demande si c'est bien en lien avec le boulot ou si cette personne heurte ma sensibilité parce que sa façon d'être est aux antipodes de la mienne.» Un travail sur soi que Céline réalise systématiquement avant d'entamer les hostilités : «Si un membre de mon équipe ne réalise pas ses objectifs, je vais d'abord m'interroger sur ma communication : ai-je été claire lorsque je les ai fixés ?»
Avant l'entretien, Céline comme Christophe s'astreignent aussi à décrypter ce que révèle l'attitude de leur collaborateur. «Un comportement inapproprié ou une baisse dans les résultats sont généralement le symptôme d'un problème de fond», analyse le premier. «Si un membre de mon équipe se montre démotivé, cela peut signifier qu'il a besoin d'évoluer, précise la seconde. Ou qu'il est en désaccord avec la stratégie. Ou encore qu'il a des problèmes personnels. Autant d'hypothèses que je vais sonder lors de notre rencontre, afin de trouver la réponse managériale la plus adaptée à la situation.»
«On ne fait jamais un feed-back à chaud», prévient Axèle Lofficial. Il est en effet nécessaire d'avoir digéré son agacement ou sa colère afin de s'exprimer de la façon la plus factuelle qui soit. Et comme le collaborateur doit lui aussi pouvoir entendre ce qu'on a à lui dire, inutile d'engager la discussion lorsque toute communication est manifestement biaisée. «Tu félicites devant les autres, tu recadres seul à seul», rappelle Christophe. Sur le fond, les mots seront soigneusement choisis. «L'idée n'est pas de blesser mais de comprendre», analyse ce manager fort de ses vingt ans d'expérience. «Un entretien réussi est celui qui instaure un dialogue : le manager formule sa perception de la situation et, par ses questions, invite son collaborateur à lui livrer sa vision des choses.
S'il y a consensus sur la défaillance du collaborateur, la discussion se poursuit afin d'analyser les causes du problème puis les solutions à mettre en œuvre», précise Axèle Lofficial, qui signale aussi les débordements possibles. «Le manager doit être prêt à accueillir une réaction émotionnelle forte : de la colère, de la tristesse, voire du déni.» Quelle que soit la tournure prise par la conversation, les feed-back ne peuvent en aucun cas être exclusivement négatifs. «La règle, c'est trois retours positifs pour un retour négatif, précise cette spécialiste de l'accompagnement humain. Dans la culture managériale américaine, la tendance à la valorisation est très forte. Sur ce terrain, les Français ont encore du chemin à faire.»
Reste ensuite à cibler ses encouragements, comme ses remontrances. «On peut féliciter quelqu'un pour les moyens qu'il a mis en œuvre, en regrettant que ses résultats ne soient pas à la hauteur. En faisant l'impasse sur le résultat, on risque de ne pas stimuler le collaborateur. L'excès inverse est tout aussi pervers car les feed-back exclusivement centrés sur les résultats s'avèrent vite décourageants."
Quelle que soit l'issue de la conversation, la séance de recadrage ne doit pas rester lettre morte. «Je fais souvent un point, quelques mois plus tard, pour complimenter la personne lorsque notre échange a porté ses fruits. Mais il m'est également arrivé de faire évoluer un collaborateur à l'issue d'un tel entretien. Ou de m'en séparer car le dialogue était définitivement rompu», explique Céline qui, comme Christophe, voit dans ce type d'échanges une occasion d'entretenir les liens au sein d'une équipe : «Lorsque quelqu'un affiche sa démotivation ou se met soudain à ne pas tenir ses engagements, il le sait ! En tant que manager, ne pas intervenir, c'est l'enfoncer.»
Voilà pourquoi le recadrage témoigne aussi de la bienveillance et du souci, au sens le plus noble du terme, que peut se faire un chef d'équipe pour les personnes avec lesquelles il travaille au quotidien. Céline a d'ailleurs en mémoire une N + 1 dont les remarques, aussi directes qu'affûtées, l'ont considérablement fait évoluer : «Grâce à elle, j'ai appris que la personne qui vous recadre vous offre aussi une preuve de confiance. Et une formidable occasion de progresser.»
Salarié : pas facile de l'ouvrir !
- Si parler n'est pas simple, être entendu l'est encore moins, comme le déplore, Christophe, 30 ans, consultant en informatique. Témoignage.
"En tant que consultant déployé chez le client, je suis souvent confronté à des N + 1 qui maîtrisent mal les enjeux opérationnels de mon métier et dont le discours manque, selon moi, de légitimité. Mais il est difficile d'exprimer son mécontentement à ses supérieurs : on prend un risque et je n'ai jamais compté ni sur les syndicats ni sur les ressources humaines pour m'épauler dans une telle démarche. J'ai à peine 30 ans et il m'est déjà arrivé trois fois de “l'ouvrir”. Les deux premières se sont soldées par une démission. Mais ma supérieure actuelle, qui est capable d'entendre et de prendre acte de mes remarques, m'a prouvé qu'elle n'usurpait pas sa fonction. Car, à mon sens, manager, c'est aussi être capable de se remettre en cause et de mobiliser son intelligence pour comprendre les problématiques de ses N - 1.»