Histoire secrète d'un modèle cousu main Dior
by Virginie Jacoberger-LavouéNée sous du coup de crayon de Maria Grazia Chiuri, cette robe Christian Dior a exigé 700 heures de travail. Récit de son acte de naissance dans l'atelier de haute couture.
Au commencement était un croquis qui voyagea entre plusieurs mains dans la maison Christian Dior, avec la précaution et la prudence que l'on accorde à un document diplomatique. Le dessin est celui de la directrice artistique des collections femme de Christian Dior, Maria Grazia Chiuri. En quelques traits, il signe une allure et conjugue les codes Dior, une architecture du vêtement, des découpes et des juxtapositions qui sont ses coups d'audace. Un croquis cousu main comme le premier signe de l'exigence de la haute couture.
2019 est une année très parisienne pour Maria Grazia Chiuri, décorée des insignes de chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur, le 1er juillet, à l'issue de la présentation du défilé de sa collection haute couture automne-hiver 2019-2020, qui s'est tenu au 30, avenue Montaigne, adresse historique de la maison depuis 1946. D'ordinaire, c'est ici que l'on visite les ateliers haute couture, mais l'emblématique adresse, le “30”, est en phase de rénovation et de transformation jusqu'en 2021. La plus célèbre boutique Dior de Paris ne risque cependant pas d'être oubliée pendant ses mois de lifting : la réplique à l'identique de sa façade est une invitation à pénétrer dans son nouveau magasin sur les Champs-Élysées (lire notre encadré page 80) .
Le croquis signe cette silhouette avec un sens aigu du volume
Ses ateliers haute couture ont été “délocalisés” au cœur de Paris, vers les quais de Seine. Le lieu, tenu secret, a un peu bousculé les habitudes des petites mains et des deux premières d'atelier - le flou, le tailleur -, mais toutes y apprécient le site « spacieux » et « particulièrement lumineux » .
Le dessin imaginé par Maria Grazia Chiuri est celui du look 39 de la collection automne-hiver 2019-2020. On y perçoit son sens aigu du volume, sa vision rigoureuse de l'architecture de la silhouette qui prendra forme sous nos yeux. La ligne est élancée, féminine ; la verticalité de l'allure impose une présence, sinon de l'assurance, une grâce altière. Dans l'atelier, le geste est à chaque étape maîtrisé et l'œil exercé à partir du croquis pour orchestrer la “forme sur toile”.
Ces mains expertes “nourrissent un savoir-faire” pour “donner vie à une idée”
Le look est exigeant en savoir-faire. Il comprend un haut et un boléro en résille et une “structure cage” pour la jupe. Pour le réaliser, les ateliers ont utilisé ce qu'ils appellent un volume “Dior bal” afin d'élaborer un modèle à la fois ample et léger.
L'étape clé de l'assemblage n'est pas envisageable avant que les pièces soient terminées. La robe est constituée d'une superposition de tulle et de résille. À cela s'ajoute « le travail des deux tissus posés l'un sur l'autre, envoyés chez le brodeur qui les fusionne à la main », et ce travail finalisé repose sur une incroyable masse de petits points dorés brodés comme des « éléments de jonction » , une constellation.
Le haut et le boléro ont été réalisés par deux couturières, chacun a requis plus de 80 heures de travail alors que la complexité de la robe exige 300 heures. On épingle, on découpe, on assemble, on superpose… Ici, l'exceptionnel se niche dans chaque geste. Précédant l'exécution de la robe, celle de la “cage” de crinoline, en tulle et bandes de crin pour un « effet de volume qui préserve la légèreté », tient de la prouesse et nécessite 200 heures de travail. Cette cage, sur laquelle sera apposée la robe, est une véritable œuvre d'art, chaque crin étant posé à la main, “en forme”, permettant d'assurer la rondeur de la crinoline.
Maria Grazia Chiuri salue « le savoir-faire déployé pour confectionner cette robe » et cette capacité à créer « une armure dense et précise, montée sur une structure en tulle » qui dessine les lignes de base du vêtement. La voilà telle qu'elle l'imagina avec ce « squelette constructif que l'on devine à la transparence de l'armure » . La directrice artistique explique également la vision de son travail avec les ateliers : « Pour moi, l'essence véritable de la haute couture réside dans sa capacité à recourir à un savoir-faire pour donner vie à une idée. » Comme une ode à la délicatesse et à la sensualité, le toucher est bien le sens le plus sollicité dans l'atelier de la maison. Quatre couturières se sont mobilisées à plein temps pour donner naissance à cette somptueuse silhouette. C'est un ballet de gestes.
« La couture est avant tout un mariage entre la forme et le tissu » , rappelait dans ses Mémoires ( Christian Dior & moi ) Christian Dior. Il est impossible de ne pas voir dans l'ensemble de ce travail dantesque de 700 heures un puissant exercice de style illustrant son propos. On retiendra, comme une leçon, l'esprit joyeux qui accompagna l'aboutissement de la silhouette, mais on ne saurait oublier à quel point l'exigence fut convoquée à chaque étape de sa construction. Le rêve de la haute couture Dior est de haute précision.