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Des milliers de Soudanais se sont rassemblés à la fin du mois dernier dans plusieurs villes pour exhorter les nouvelles autorités à dissoudre l'ancien parti au pouvoir.© Reuters

Soudan – Omar el-Béchir : son parti n'a plus droit de cité

Inspiré des Frères musulmans, le NCP a gouverné pendant 30 ans et contrôlé la vie publique et sociale dans ses moindres détails. Les autorités tentent de limiter son influence.

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Jeudi, le Conseil souverain et le gouvernement du Premier ministre Abdallah Hamdok ont adopté une loi selon laquelle "le Parti du congrès national (NCP) est dissous" et tous ses biens sont confisqués. Le NCP n'est autre que le parti de l'ancien président déchu Omar el-Béchir. Cette dissolution était l'une des revendications du mouvement de contestation qui avait fait céder l'ex-dictateur sous la pression conjointe de l'armée. 

La fin d'un régime

Que dit exactement le texte ? La loi interdit aux "symboles du régime ou du parti" de l'ancien président de participer à la vie politique du pays pendant dix ans. Un comité devra être formé pour confisquer les biens du NCP, selon le texte intitulé "Démantèlement du régime du 30 juin 1989", date à laquelle Omar el-Béchir a pris le pouvoir par un coup d'État soutenu par les islamistes.

Le NCP n'a pas tardé à réagir. Vendredi, il a accusé les autorités de transition de vouloir confisquer ses biens pour résoudre la crise économique. C'est cette crise économique qui avait déclenché le mouvement de contestation en décembre 2018. Et il est vrai que ,depuis l'accession du nouveau gouvernement aux affaires en septembre dernier, la situation économique du pays n'a pas avancé. "L'idée de compter sur les biens du parti, si tant est qu'il y en ait, n'est rien d'autre qu'un scandale moral, une faillite intellectuelle et un échec total du gouvernement illégal", a écrit le NCP sur sa page Facebook. Le parti n'est "gêné par aucune loi ou décision prise contre lui puisque le NCP est un parti fort et ses idées l'emporteront", a-t-il affirmé.

En finir avec l'islam politique ?

Il faut dire que, malgré le départ d'Omar el-Béchir, actuellement emprisonné à Khartoum – qui a dirigé le Soudan d'une main de fer durant près de trente ans –, son parti veut croire qu'il a un avenir. Mais plusieurs autres membres de son gouvernement et de hauts responsables du NCP sont également détenus. Au Soudan, les membres du NCP sont surnommés les "keizan", soit le pluriel de koz, une timbale en fer blanc. C'est une formule de l'idéologue du parti, l'influent chef religieux Hassan al-Tourabi, mort en 2016. Ce dernier, en faisant une métaphore des Frères musulmans, avait dit : "La religion est une mer et nous sommes ses keizan. " Ils sont désormais honnis par des milliers de Soudanais qui veulent en finir avec cet islam politique né au sein même de la mosquée de l'université de Khartoum dans les années 1970. Les islamistes, qui ont gouverné le Soudan pendant trente ans, peuvent-ils disparaître du jour au lendemain ? Pour le nouveau gouvernement, c'est par la loi qu'il faut agir et démanteler tout le système qui a tourné autour des "comités populaires". Établis dans les quartiers et jusqu'aux villages, c'est ce conseil qui contrôlait et décidait de tout, surtout des questions de bonne conduite, et surveillait surtout les faits et gestes des populations. Le Premier ministre a assuré sur Twitter que la loi ne constituait "pas une vengeance" contre le régime de président déchu. "Il s'agit d'instaurer la justice et le respect pour la dignité du peuple qui a été oppressé", mais aussi de "recouvrer les richesses pillées", a-t-il déclaré.

Derrière l'organisation du parti, la charia

Dans ce sens, jeudi, les autorités ont aussi officiellement abandonné une loi controversée sur l'ordre public qui avait fortement restreint les droits des femmes sous le pouvoir d'Omar el-Béchir. "Cette loi est connue pour être utilisée comme un outil d'exploitation, d'humiliation et de violation des droits. Beaucoup ont utilisé cette loi à des fins d'exploitation financière et psychologique. Sur le chemin, beaucoup de femmes et de jeunes ont subi la confiscation de leurs biens et des dommages inoubliables", a encore tweeté le Premier ministre. Depuis l'introduction de la loi islamique sur la charia en 1983, la fameuse loi sur l'ordre public, modifiée à plusieurs reprises, a imposé des codes moraux stricts en interdisant les "actes indécents et immoraux". La plupart des infractions ont trait aux interactions entre hommes et femmes, à la danse, au choix de la tenue vestimentaire, au tabagisme et à d'autres comportements que les autorités ont jugés inappropriés. Des milliers de Soudanaises ont été flagellées, condamnées à des amendes et même emprisonnées pour avoir assisté à des fêtes privées ou porté un pantalon, en vertu d'une application extrémiste de la loi islamique, selon les défenseurs des droits humains. Le nouveau gouvernement a promis qu'il défendrait les droits des femmes, à l'avant-garde des manifestations contre l'ex-président. D'ores et déjà, l'Association des professionnels soudanais (SPA), acteur majeur du soulèvement populaire, a salué la décision du gouvernement de transition. Il s'agit d'un "grand pas en avant vers les objectifs de la révolution et sur le chemin de la construction d'un état civil démocratique", a-t-elle estimé dans un communiqué.