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Bernard Pivot chronique cette semaine "Histoire de la pluie en 40 épisodes", de Jean-Louis Hue.(Eric Dessons/JDD)

"Quand l'Histoire n'a pas un poil de sec", la chronique de Bernard Pivot

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Bernard Pivot, de l'Académie Goncourt, chronique cette semaine "Histoire de la pluie en 40 épisodes", le livre de Jean-Louis Hue.

Dans ma province, on disait : "Si on aperçoit le mont Blanc, c'est qu'il pleuvra demain. Si on ne l'aperçoit pas, c'est qu'il pleut!" On tapotait sur le baromètre pour suivre l'aiguille dans ses hésitations entre la pluie et le beau temps. Si les hirondelles volaient bas, touchant de leur ventre l'eau de l'étang, c'est qu'un orage menaçait. La pluie est certaine quand les chats passent derrière leurs oreilles une patte humidifiée d'un coup de langue. Mais c'est toute la gent animale qui change son comportement habituel quand elle sent qu'elle va bientôt être mouillée jusqu'aux os. La pluie rend béates les grenouilles et de mauvais poil les chiens. Ciel, la pluie!

Un livre ensoleillé par l'humeur malicieuse de son auteur

De Noé à Alain Gillot-Pétré, du Déluge à La Chaîne Météo, des gargouilles de Notre-Dame aux bâches vertes de Roland-­Garros, des prières pour que saint Médard ouvre les écluses, dites célestes, aux inondations des départements en alerte orange, du nimbus latin au nimbostratus, nouveau nom du nuage qui va se répandre, de la marquise de Sévigné qui exécrait le mauvais temps ("Au lieu de dire : après la pluie vient le beau temps, nous disons : après la pluie vient la pluie") au pauvre Monet que les continuelles averses empêchaient de peindre à Belle-Île, de la mousson au crachin, voici Histoire de la pluie en 40 épisodes. Un livre lumineux par son érudition, ensoleillé par l'humeur joyeuse, souvent ­malicieuse de son auteur, Jean-Louis Hue. Son style fluide, a-t-on envie d'écrire, coule de source et ruisselle sur 300 pages, emportant mon ­admiration, bientôt la vôtre. Son Chat dans tous ses états m'avait émerveillé il y a trente-sept ans! Avec la pluie, il a eu de nouveau le dessein de ramasser en un seul livre nos connaissances essentielles sur un beau sujet, la pluie étant beaucoup plus romanesque que le chat.

Jean-Louis Hue démontre que sur les champs de bataille la pluie a toujours été du côté de la ­perfide Albion. À Crécy, les cordes des arbalètes génoises et françaises ont été distendues par un orage alors que les Anglais avaient su mettre celles de leurs arcs à l'abri. Et quand le roi Philippe VI (et non Philippe IV) a donné l'ordre aux cavaliers de charger, leurs chevaux ont été immobilisés dans la gadoue. Un siècle après, ­Azincourt. L'Histoire se répète. Les deux armées arrosées par la pluie. Mais seules nos arbalètes sont endommagées. Les ­Anglais occupent une colline, les Français, en bas, des champs fraîchement labourés. L'enlisement et la défaite dans la boue. À Waterloo, "la morne plaine n'était qu'un vaste marécage". Napoléon rendra la pluie responsable de son échec. Le soleil d'Austerlitz était loin. Avec les puissants, le ciel a ses humeurs.

Le plus étonnant est le jour du premier 14-Juillet, fête de la ­Fédération, premier anniversaire de la prise de la Bastille. Un déluge continuel! Les révolutionnaires trempés jusqu'à la moelle! Une fête gâchée, une journée calamiteuse. Sauf dans les manuels d'histoire, où le soleil républicain dardait sur la foule sèche et enchantée ses rayons triomphants. Michelet, enfin, rétablit la vérité. Au vrai, les fédérés, furieux, maudissaient le ciel en le traitant d'aristocrate tout en continuant, sous abri, de boire, de danser, faisant contre mauvaise fortune bon cœur.

François Hollande et Louis-Philippe arrosés 

Jean-Louis Hue met en oppo­sition la première année du ­quinquennat de François ­Hollande, président généreusement arrosé dès qu'il mettait le nez dehors, avec Louis-Philippe, d'abord adepte du parapluie, puis le rejetant pour prendre la saucée comme ses sujets. Plus le roi était trempé, plus on l'acclamait. Il faisait de la pluie un élément de partage avec son peuple, un atout monarchique. Alors que François Hollande, en dépit de son bon mot "Gouverner, c'est pleuvoir", ne réussit jamais à donner l'impression, "triste et renfrogné, à jamais enlisé dans la litanie de ses discours" sous la pluie, à faire oublier que le ciel s'acharnait contre lui.

Comment faire venir la pluie. Les premiers bulletins météo. Qu'est-ce que les pluies de sang et les pluies acides? La funeste pluie normande selon Guy de ­Maupassant. Pauvres poilus dans leur uniforme passoire bleu ­horizon, les averses se succédant avant les pluies d'obus! L'hygrométrie record sous le Roi-Soleil. La pluie à Paris et les décrotteurs du Pont-Neuf. Ce sont là quelques autres épisodes de cette savante et passionnante histoire de la pluie dont j'aimerais que cette chronique en soit le modeste et fugace arc-en-ciel.

Histoire de la pluie en 40 épisodes, de Jean-Louis Hue, Grasset, 304 pages, 20 euros.