Sistani appelle à remplacer le gouvernement après une journée sanglante
by AFPLe grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire de la politique irakienne, a appelé vendredi à remplacer le gouvernement au lendemain d’une des journées les plus sanglantes en deux mois de contestation déjà marqués par plus de 400 morts.
Le dignitaire chiite de 89 ans apporte ainsi pour la première fois clairement son soutien – nécessaire pour faire et défaire les Premiers ministres- aux manifestants, qui ont encore perdu un des leurs vendredi lors de heurts avec la police à Nassiriya, à feu et à sang depuis la veille.
Les protestataires réclament depuis le 1er octobre “la chute du régime” et d’une classe politique qui, en 16 ans, a fait s’évaporer l’équivalent de deux fois le PIB d’un des pays les plus riches en pétrole du monde dans les fumées d’une corruption endémique.
Jeudi, 46 manifestants ont été tués et un millier d’autres blessés. Cette répression a changé la donne dans le Sud, où des combattants tribaux sont sortis pour protéger les manifestants à Nassiriya alors que des hommes en civil ont tiré sur la foule à Najaf.
Pour éviter « le chaos et la destruction », « le Parlement dont a émergé le gouvernement actuel est appelé à revoir le choix qu’il a fait », a exhorté un représentant du grand ayatollah Sistani, qui n’apparaît jamais en public.
Aussitôt, les députés d’opposition, de l’ex-Premier ministre Haider al-Abadi et du turbulent Moqtada Sadr -le premier bloc au Parlement- se sont dit prêts à retirer leur confiance au cabinet.
Quant aux paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi, 2e bloc, qui soutient fortement le gouvernement, ils semblaient se plier aux directives du grand ayatollah.
Peu après le sermon de Ali Sistani, leur coalition, le Fatah, a plaidé pour « les changements nécessaires dans l’intérêt de l’Irak ».
Pour Ali al-Sounbouli, militant à Najaf, ce sermon est « différent des précédents ».
D’abord parce que le grand ayatollah ne l’a commencé qu’après avoir récité la prière traditionnelle en mémoire des « martyrs » et ensuite parce qu’il s’est adressé au Parlement plutôt qu’au gouvernement. “C’est le signe qu’il ne reconnaît plus sa légitimité” , assure le militant à l’AFP.
Le grand ayatollah a apporté « un soutien fort » à la contestation, affirme aussi à l’AFP Ahmed al-Badr, qui manifeste à Diwaniya.
Car la rue maintient la pression à Bagdad, comme à Najaf, Diwaniya, al-Hilla ou Nassiriya.
Dans cette dernière ville proche des ruines de l’antique Ur, les affrontements ont repris au lendemain de la mort de 28 manifestants sous les balles des forces de sécurité.
Un manifestant a été tué par balles vendredi alors que les manifestants incendiaient des blindés de la Direction provinciale de la police, ont indiqué des médecins, tandis qu’un autre QG de la police était incendié, le deuxième en deux jours.
Jeudi, les tirs ininterrompus et les courses-poursuites entre manifestants et forces de l’ordre se sont déchaînées. Des militaires venaient d’être dépêchés par Bagdad pour « restaurer l’ordre ».
Car la veille au soir, l’Irak était entré dans une nouvelle étape.
Des manifestants hurlant « Iran dehors ! » et « Victoire à l’Irak ! » avaient brûlé le consulat du très influent voisin iranien à Najaf, visitée chaque année par des millions de pèlerins iraniens.
Peu après, la répression augmentait et avec elle la réponse des manifestants dans le sud agricole et tribal où le chaos menace.
Pour protéger les manifestants, des combattants tribaux de Nassiriya, leurs armes en vue, se sont déployés sur l’autoroute venant de Bagdad, mettant en garde contre l’arrivée de nouveaux convois de blindés de la police.
Vendredi, ils avaient disparu.
A Najaf, la nuit a été longue : des hommes en civil ont tiré sur la foule qui s’approchait de QG de partis politiques. Dans la ville sainte, leurs tirs et ceux des forces de l’ordre ont fait 16 morts jeudi, selon des médecins.
Dans le Sud, des policiers sous le couvert de l’anonymat indiquent avoir reçu l’ordre d’en finir avec les manifestations à l’arrivée des nouveaux commandants militaires jeudi. Mais le désastre de Nassiriya les a forcé à reculer, assurent-ils.
A Bagdad, les grenades lacrymogènes continuent d’enfumer le centre historique transformé en champ de bataille entre jeunes jetant des pierres et policiers qui ont tué jeudi deux manifestants.
Ces derniers n’en démordent toutefois pas : ils veulent la fin du système politique conçu par les Américains après la chute en 2003 de Saddam Hussein et désormais sous la mainmise de l’Iran, qui a pris l’avantage dans un pays où un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
La désobéissance civile continue de bloquer écoles et administrations alors que les manifestants tentent de toucher le talon d’Achille du pouvoir, l’or noir.
Jusqu’ici toutefois, ils n’ont atteint ni la production ni la distribution de pétrole, unique ressource en devises du pays et qui représente 90 % des recettes d’un gouvernement surendetté.