Pourquoi Van Dijk mérite le Ballon d’or
by Douglas de GraafLundi au théâtre du Châtelet, le Ballon d’or 2019 sera attribué au meilleur footballeur de l’année selon 180 journalistes internationaux. Parmi les favoris dans l’obtention du prestigieux trophée, Virgil van Dijk réussit la prouesse de représenter à la fois le choix de la raison (au vu de son palmarès individuel et collectif) et celui du cœur (jamais un défenseur n'avait autant fait l'unanimité et rendu son poste sexy). Oui, pour la première fois depuis Fabio Cannavaro en 2006, un défenseur peut et doit soulever le trophée.
L'an dernier, Luka Modrić a ouvert la voie. En mettant fin au règne des omnipotents Messi et Ronaldo et en consacrant la victoire d'un football pas uniquement centré sur les statistiques individuelles (les buts au premier rang), le Croate a prouvé à ses compères qu'un milieu peu glamour pouvait bien recevoir la prestigieuse distinction. Aussi surprenant que cela puisse paraître au vu du gouffre physique qui le sépare du Madrilène (1,72 m, 66 kilos), Virgil van Dijk (1,93 m, 92 kilos) se reconnaîtra lui aussi dans cette catégorie. Parce que VVD, toutes considérations sur ses qualités footballistiques mises de côté, est défenseur central de son état et il n'est pas sûr que le Ballon d’or soit prêt à faire reculer son lauréat d'encore un cran cette année. Le trophée aurait pourtant tout intérêt à le faire, en sacrant le meilleur joueur de l'année, tout simplement.
Critère du palmarès : check
D'abord parce que le natif de Breda a remporté la C1. Un atout on ne peut plus sérieux qui doit faire basculer la décision des votants au regard du standing de la compétition. D'autant que le défenseur formé à Willem-II a allié le résultat à la manière. Dans sa fantastique épopée, illuminée par l'improbable remontada contre le Barça en demies (0-3, 4-0) et ponctuée par une ultime victoire sans trembler face à Tottenham en finale (2-0), le colosse de 28 ans a éteint ce qui se faisait de mieux sur la planète niveau attaquants. Mertens (Naples), Lewandowski (Bayern), Messi et Suárez au retour contre le Barça, Kane et Son (Tottenham)... Et ceci sans mentionner l'immense Richmond Boakye (Étoile rouge de Belgrade). Une prouesse qui valait bien d'être élu meilleur joueur de la saison dernière par l'UEFA.
Et en Premier League ? Celui qui a frôlé la mort à 17 ans à cause d'une explosion de l'appendice est passé à un cheveu de réaliser le doublé. La faute à un Manchester City petit bras, qui a préféré se concentrer sur le confort de sa compétition domestique plutôt que de briser son plafond de verre en Europe. Sauf que Van Dijk, lui, est un véritable obsédé des titres (c'est pour cette raison qu'il avait fait grève à Southampton pour rejoindre Liverpool) et préfère tout donner à chaque fois, quitte à perdre des plumes en jouant sur plusieurs tableaux. Et la deuxième place des Reds n'aura finalement dupé personne : c'est bien lui qui a impressionné toute l'Angleterre, devant les Citizens et ses propres coéquipiers scousers, en étant élu joueur de la saison 2018-2019 en championnat. Bonjour la décompression et les doutes qui naissent avec le succès ? Au contraire, l'ancien de Groningue est reparti sur des bases tout aussi élevées avec son club cette saison (12 victoires en 13 journées).
Insubmersible Digue
Des titres collectifs, des distinctions individuelles (en plus d'une deuxième place au trophée The Best de la FIFA), un statut officieux de meilleur défenseur du monde... Personne ne pourra contester au Néerlandais de cocher mieux que quiconque la première (et la plus importante) case du Sudoku Ballon d’or. Il lui en manque deux : la classe (talent, charisme, fair-play) et la carrière. Pour le charisme, il suffit de jeter un clin d'œil à sa prestance, à son aura et à la façon dont il a transformé à lui tout seul la défense des Reds, gros point noir du club avant son arrivée. Oui, Van Dijk fait maintenant partie de cette catégorie très rare de joueur clutch qui fait gagner ses clubs. Quant à la carrière... Passons. Et rappelons à la FIFA qu'il serait injuste de pénaliser un homme pour avoir percé sur le tard, d'avoir persévéré là où tous ses formateurs le voyaient voué à l'échec, d'avoir travaillé comme un forcené pour surmonter une montagne de défauts naturels au point de ne plus sembler en avoir.
Car c'est aussi au-delà des purs critères d'attribution qu'il faut porter le regard pour déterminer le mérite de « La Digue » . Le mérite d'une personnalité et d'un mental, qui aura donc passé outre d'innombrables obstacles, s'est imposé à une vitesse éclair dans ses différents clubs (Celtic, Southampton, Liverpool) depuis son arrivée au Royaume-Uni et aura résisté à la pression gargantuesque née de son statut de défenseur le plus cher du monde (84 millions d'euros). Le mérite d'un footballeur, surtout, qui aura fait passer le poste de défenseur dans une nouvelle dimension. Au point, inespéré, de le rendre sexy. Grâce à une maîtrise hallucinante des « classiques » (puissance, science du duel, lecture des trajectoires et anticipation). Grâce à une qualité de relance merveilleuse et insoupçonnable, aussi bien dans le jeu court que long. Grâce à des stats déconcertantes, qui donnent le tournis (65 matchs alignés jusqu'en août 2018 sans avoir été dribblé, une vitesse de pointe de 34,5 km/h, nouveau record en C1). Alors finalement, Virgil van Dijk représente peut-être aussi le football de stats. Mais pas celles auxquelles on est habitué.