[Edito] Brighelli - Nouveaux concours, nouveaux enseignants ?
by Jean-Paul BrighelliAlors que le métier d'enseignant n'attire plus autant que par le passé et que le concours est amené à évoluer, les réformes en matière de retraite pourraient bien avoir raison du peu de candidats restants. L'édito de Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste.
Les concours de recrutement pour le métier d’enseignant, alors même que le nombre de postes ouverts est stable (il monte même un peu dans le privé) ne font plus recette depuis quelques années. Mais ce mois-ci, c’est moins de désaffection que d’effet-repoussoir qu’il faut parler — voir le résumé du SNES, particulièrement éclairant, et qui s’appuie sur les sources gouvernementales.
Aux anciennes réticences (la certitude, par exemple, d’être muté à Pétaouchnok dans un établissement oublié de Dieu et des hommes et scolarisant à grand-peine des voyous peu susceptibles d’éducation — alors même qu’on est volontaire pour alphabétiser la racaille que l’on a à sa porte) se sont ajoutées des motivations nouvelles pour ne pas y aller — quitte à pointer au chômage, quitte à se recycler en caissière dans la grande distribution. Voire à choisir la galanterie, toujours plus rentable qu’un concours qui après 5 ans d’études vous fait débuter au SMIC à peine amélioré.
Parmi ces motivations, la perspective de « bénéficier » d’une retraite qui vous replongera dans votre salaire de départ après 45 ans (ne nous leurrons pas, le nombre de semestres va augmenter, et j’ai du mal à comprendre pourquoi le gouvernement Macron n’a pas commencé par là, au lieu de heurter des catégories multiples bénéficiant d’avantages divers) de bons et loyaux services. Vous commencez à 1500 € par mois, vous vivrez votre retraite au même tarif.
Pour l’instruction de mes lecteurs, expliquons les choses. Le système éducatif vit depuis longtemps sur une loi non écrite : les rémunérations seront très faibles durant toute la carrière, mais la retraite sera calculée sur les six derniers mois d’exercice : vous aurez ainsi un peu de beurre dans vos épinards de vieux… L’idée que dorénavant, sous prétexte d’alignement, la retraite sera calculée sur les 25 dernières années occasionne une perte sèche de 35% de revenus. La manifestation de jeudi prochain, dont je rendrai compte dans une prochaine chronique, ne manque pas d’excellentes raisons.
Pendant ce temps, pour tenter de pallier cette crise du recrutement, le ministère a testé sur les syndicats effarés (un syndicat est toujours effaré, c’est sa raison d’être) la maquette encore inaboutie de nouveaux concours de recrutement, aussi bien pour les PE (Professeurs des écoles) que pour les enseignants de collège et de lycée.
Quelles nouveautés par rapport à ce qui se fait aujourd’hui — et qui n’est guère satisfaisant vu le peu d’empressement des étudiants à s’inscrire dans ces formations ?
À l’écrit, le nouveau CAPES sera organisé autour de deux épreuves : une épreuve disciplinaire classique, et une épreuve sur documents, dont il faudra tirer synthétiquement de quoi organiser un cours — ça y est, on a cessé au ministère de parler en termes de « séquences » et de « séances », des fictions terminologiques héritées du pédagogisme imbécile de ces trente dernières années.
Ainsi, m’a expliqué mon interlocuteur au ministère, qui est historien de formation, un candidat au CAPES d’Histoire-Géographie pourrait se voir remettre un lot de documents dont la finalité sera de lui permettre de bâtir un cours sur la Guerre de Succession d’Espagne et le remodelage européen des années 1700-1715. Mettons une lettre de Marie-Anne de la Trémoille, princesse des Ursins, fine politicienne française envoyée par Louis XIV à Madrid ; un passage des Mémoires de Saint-Simon ; un double portrait de Philippe V « el animoso » (le Brave), petit-fils du Roi-Soleil, à comparer avec un profil de son prédécesseur Charles II « l’hechizado », l’Ensorcelé, dernier rejeton maladif du sang vicié des Habsbourgs ; un extrait significatif du Traité des Pyrénées, qui avait entériné en 1659 la perte d’influence de l’Espagne, et une carte de l’Espagne avant et après ce compromis historique essentiel — la conclusion de l’épuisante guerre de Trente ans… Le lecteur au fait de ces années de tumulte européen complètera. À l’arrivée, un cours peut-être passionnant sur la façon dont Louis XIV, qui tirait les ficelles de cette nouvelle dynastie — la sienne — installée sur le trône d’Espagne, voyait la monarchie comme un droit divin, et le monarque comme un représentant de Dieu sur terre : d’où son acharnement à disputer une guerre, de 1701 à 1714, qui greva durement les dernières années de son règne.
Je crois que même un malheureux agrégé de Lettres comme moi s’en tirerait…
Dans les disciplines scientifiques « dures » — en maths —, j’ai un peu de mal à imaginer quels « documents » seraient proposés aux candidats. Mais c’est essentiellement parce que je navigue moins bien en Sciences qu’en disciplines littéraires.
L’innovation consisterait à laisser aux candidats un accès à un bouquet de liens internet pré-sélectionnés — les mêmes pour tout le monde. J’espère que le Ministère a songé que ces écrits se passent parfois dans des lieux sauvages, mal alimentés en réseau…
Une autre innovation, à laquelle j’applaudis bien fort, est d’établir une note éliminatoire en dessous de laquelle, et quelle que soit la note de la seconde épreuve, le candidat ne sera pas autorisé à accéder à l’oral. Parce que le recrutement de bras cassés, ça suffit. Ainsi, pour le concours de recrutement des instituteurs, toute note inférieure à 5 / 20 en maths ou en français serait rédhibitoire — une très bonne idée, parce que les fautes d’orthographes des enseignants sur les cahiers de liaison des élèves ou sur le site Pronote, ça suffit aussi !
À l’oral, rebelote : une épreuve disciplinaire, et une interrogation semblable à celle d’aujourd’hui, « connaissance du système éducatif » — mais repensée dans l’optique d’un entretien d’embauche : pourquoi voulez-vous faire ce métier ? Et quelle idée avez-vous de la discipline — celle que vous enseignez et celle que vous voudriez faire régner ?
Les syndicats auxquels a été soumis ce projet novateur hésitent entre perplexité et opposition franche. Le SNES met comme préalable à toute négociation l’abandon de la réforme du lycée (quel rapport ?) — alors même que la grande majorité des enseignants de Français par exemple, est très favorable à une réforme qui permet enfin aux élèves d’apprendre des choses précises. Les limites imposées à la sacro-sainte liberté pédagogique, acceptées avec enthousiasme lorsque la Gauche était au pouvoir, ne sont pas grand-chose en regard des progrès effectifs des élèves. Le SNALC aimerait sans doute un grand retour du disciplinaire pur. Mais c’est oublier que la carence sidérante des études supérieures n’autorise guère un examen poussé de ce que les étudiants… n’ont jamais appris. Soyons réalistes, cessons de demander l’impossible.
Ajoutons que le Ministère compte proposer aux futurs postulants d’exercer en toute autonomie sur une classe au niveau M1 — sachant que le concours se passera désormais pour tout le monde au niveau M2. Une façon de valider n’importe quel Master, afin que les candidats ne soient plus obligés de passer sous les fourches caudines des Masters MEEF octroyés par les pédagos — dont il me vient aux oreilles qu’ils ont enfin compris, entre maquettes des concours et nominations par les rectorats des futurs directeurs des INSPE qui remplacent les ESPE, ce que le Ministère était en train de leur faire : la façon dont le Café pédagogique, cette officine du désastre, après avoir vu ses subventions disparaître, est désormais évincé des présentations à la presse rue de Grenelle est significatif de l’estime extrême dans laquelle le ministre et son Cabinet tiennent ces braves garçons… qui par représailles font de la publicité à une pétition (quand on n’a rien de sérieux à proposer, en France, on fait une pétition) lancée par « la Chaîne des bahuts » (bretons, sans doute) et les « Stylos rouges », avec l’appui de délégations départementales du SNES, de la CGT , du SNUIpp et de SUD-Education (vous savez, ces gens qui font des stages « racisés » pas du tout racistes) qui réclament comme préalable le départ de Blanquer. J’ai un peu peur que les slogans du 5 décembre, au lieu de se concentrer sur les faits — la baisse programmée des pensions — ne s’égaye sur des chemins de traverse. Compte-rendu vendredi prochain.