Une affaire judiciaire révèle les enjeux complexes du droit à l'oubli

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En Allemagne, une affaire judiciaire toujours en cours d'instruction révèle les enjeux du droit à l'oubli, coincé entre le droit à l'information pour le public et celui pour l'individu de pouvoir passer à autre chose.

Un homme qui a été condamné pour meurtre en 1982, qui a été emprisonné jusqu’en 2002 et qui est retourné à la vie civile depuis, doit-il bénéficier d’un « droit à l’oubli » sur internet, afin de faciliter sa réinsertion dans la société et éviter qu’une recherche sur le web ne pointe sur sur son passé criminel ? Ou bien l’intérêt du public à savoir à qui l’on a affaire est-il supérieur ?

Voilà la problématique qui a occupé le Tribunal constitutionnel fédéral, en Allemagne, fin novembre. Dans cette affaire, l’intéressé avait été reconnu coupable d’un double meurtre sur un voilier mouillant dans les Caraïbes. Il avait aussi grièvement blessé une troisième personne. Il avait été condamné à la perpétuité, mais avait vu sa peine être réaménagée, l’incompressibilité de la perpétuité étant de 15 ans.

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Le Tribunal constitutionnel fédéral. // Source : Tobias Helfrich

Selon la BBC, qui résume l’affaire, l’Allemand a ciblé des articles relativement anciens, mis en ligne en 1999 par le magazine Der Spiegel. Ces sujets datent eux-mêmes des années 1982 et 1983 et contiennent le nom complet de l’individu. Or, c’est justement la mention de son identité qui lui pose problème, parce qu’elle peut être facilement retrouvée par une simple recherche sur le web.

Ce n’est qu’en 2009 que l’Allemand a eu vent de ces articles. Il a donc entamé une procédure en justice pour les faire retirer. Cependant, il n’a pas obtenu immédiatement gain de cause, puisque les juridictions inférieures ont considéré que son droit à la vie privée ne surclassait pas celui l’intérêt du public, ainsi que la liberté de la presse. Tel était le verdict rendu par une juridiction fédérale, en 2012.

2014, tournant du « droit à l’oubli »

Mais depuis, le cadre juridique a connu une évolution notable. En 2014, un « droit à l’oubli » a été reconnu au niveau européen, à la suite d’un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne. Dans les grandes lignes, celui-ci oblige Google (en, fait, les autres moteurs de recherche aussi, mais Google est le plus important) à considérer les requêtes des Européens demandant le retrait de certains liens.

D’ailleurs, il s’agit plutôt d’un « droit au déréférencement ».

Ce droit n’est toutefois pas absolu, ni automatique. C’est ce qu’ont rappelé à la fois la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour de cassation. L’un des éléments à prendre en compte est le degré de notoriété de la personne qui fait la requête : est-ce une personnalité publique ou non ? Dans tous les cas, les tribunaux doivent analyser les dossiers au cas par cas et mettre les différents intérêts en balance.

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Google est le principal concerné par le « droit à l’oubli ». // Source : Stock Catalog

L’affaire est alors remontée jusqu’au Tribunal constitutionnel fédéral, qui a renversé la décision rendue précédemment par une juridiction fédérale. Le dossier va donc repartir devant une cour, qui devra donc se re-pencher sur l’affaire et déterminer si le droit au déréférencement s’applique bien à ce cas de figure. L’intéressé argue qu’il souhaite mettre de la distance entre son crime et son nom.

Comme le relevait la CNIL en 2014, le droit à l’oubli doit tenir compte de différents paramètres pour être appliqué ou non : est-il question d’une personnalité publique ? Est-ce un mineur ? Les informations sont-elles excessives ? L’information est-elle à jour ? Le traitement cause-t-il un préjudice au plaignant ? Ou encore, le contenu a-t-il été rendu public à des fins journalistiques ?

Des intérêts divergents

Différents arguments peuvent être avancés pour soutenir le droit à l’oubli, une fois que les critères pour l’approuver ou non ont été examinés.

La nécessité d’organiser la paix sociale, en évitant de renvoyer systématiquement un individu à un fait passé, surtout lorsque celui-ci remonte très loin dans le temps — ici, 37 ans. L’importance, aussi, de créer les conditions de la réinsertion de l’auteur de l’infraction, les personnes pouvant changer, même si certains troubles à l’ordre public — dans le cas ici, il s’agit tout de même de deux meurtres — ne pourront jamais être totalement réparés.

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Gommer ou non une information peut avoir des répercussions dans les deux cas de figure. // Source : Maxime Marais

Mais à ces raisonnements peuvent être opposées d’autres remarques : la souffrance des victimes ou de leurs proches tout d’abord, dont la parole trouve un écho important dans la société, et qui ne voudrait rattraper les insuffisances de la justice (ici, la perpétuité a été aménagée au bout de 20 ans). De plus, le souhait de savoir à qui on a à faire peut aussi s’entendre, au motif qu’il y aura toujours la crainte d’une récidive.

Il reste à savoir quelles seront les suites judiciaires de ce dossier : si l’Allemand obtient gain de cause, cela pourrait aboutir au déréférencement des archives en cause ou bien requérir que le magazine retouche ses articles pour masquer le nom de l’intéressé, en abrégeant par exemple son nom de famille avec une seule initiale. Une recherche avec son nom de famille ne débouchera plus sur les papiers en cause.