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Le Black Friday devient, pour une frange de plus en plus importante de la population, un symbole de l'ultra-libéralisme, de "l'ubérisation" de la société et, globalement, de l'impact négatif des géants de la tech comme Amazon. (Crédits : DRr)

Black Friday : contestation inédite mais profits records en vue pour Amazon et le e-commerce

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Journée devenue semaine exceptionnelle de soldes en ligne, le Black Friday déclenche cette année une crispation inédite dans la société civile. Derrière les initiatives (appels au boycott, blocages d'entrepôts, "Noël des PME françaises", amendement de Delphine Batho...) se dessine la contestation du modèle de société incarné par Amazon, perçu comme consumériste, socialement irresponsable et destructeur pour l'environnement. Mais le géant américain devrait quand même battre des records de ventes.

La lune de miel entre les Français et le Black Friday, cette journée devenue semaine de soldes exceptionnelles, est-elle terminée ? Importée des Etats-Unis depuis 2013, l'initiative déclenche cette année en France une contestation sociale et politique d'une ampleur inédite. En cause : l'impact social, économique, urbanistique et environnemental du e-commerce, incarné par Amazon qui domine le secteur de la tête et des épaules puisqu'il cristallise à lui seul 20% des achats sur Internet en France. Grande fête de la sur-consommation à coups de promotions exceptionnelles et parfois trompeuses, le Black Friday devient, pour une frange de plus en plus importante de la population, un symbole de l'ultra-libéralisme, de "l'ubérisation" de la société et, globalement, de l'impact négatif des géants de la tech comme Amazon.

Lire aussi : Face au consumérisme, le "Green Friday" peut-il supplanter le "Black Friday" ?

Blocages d'entrepôts et appels au boycott contre "l'aberration écologique et économique" du Black Friday

Ainsi, depuis la semaine dernière, les appels au boycott du Black Friday se multiplient. Youth for Climate, Extinction Rebellion ou encore Attac ont notamment appelé à des marches ou blocages de protestation, ainsi qu'à des actions de "désobéissance civile" pour transformer le Black Friday en "Block Friday". Certaines entreprises affichant leur préoccupation environnementale -réelle ou opportuniste- ont également renoncé à y participer, rejoignant le mouvement du "Green Friday" encourageant à des actions éco-responsables de la part des consommateurs, promues entre autres par l'association Emmaus.

Des manifestations et des blocages d'entrepôts Amazon se sont également déroulés jeudi et vendredi. Entre 50 et 100 militants de mouvements écologistes (ANV-COP21 et Amis de la Terre) ont brièvement bloqué jeudi après-midi le centre de distribution de Brétigny-sur-Orge (Essonne), débouchant sur huit interpellations par la police pour "entrave à la circulation". Vendredi, des militants d'Attac, de Greenpeace et d'Extinction Rebellion ont manifesté devant le siège d'Amazon à Clichy (Hauts-de-Seine) et bloqué des entrepôts en région parisienne, près de Lille et près de Lyon, où des images relayées sur Twitter par Extinction Rebellion montrent des jeunes évacués sans ménagement par les forces de l'ordre.

"Aujourd'hui, Amazon a les émissions de gaz à effet de serre d'un Etat", a dénoncé à Saint-Priest (Rhône) Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. "On a besoin plus que jamais d'actions de désobéissance civile car Amazon est un symbole d'impunité", notamment fiscale, a estimé l'eurodéputée LFI Manon Aubry, présente à ses côtés tout comme la députée LFI Clémentine Autain.

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Contestation politique y compris dans les rangs LREM et contre-offensive économique de la CGPME

Si les actions dans la rue sont portées par les mouvements politiques d'extrême-gauche et des ONG écologistes, la contestation politique se diffuse aussi à l'Assemblée nationale, dans les rangs de la majorité LREM, et du côté de certains acteurs économiques. Lundi, la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a alerté, "à titre personnel", contre la "frénésie de consommation" et la pollution générée par l'afflux des commandes en ligne du Black Friday, qui entraîne la congestion des villes à cause des livraisons. Son intervention a déclenché l'ire du président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale Eric Woerth (LR), qui a dénoncé une "polémique inutile", et du Conseil du commerce de France, qui réunit 31 fédérations de commerçants.

Mais si le gouvernement n'a pas soutenu les propos de la ministre, il est toutefois en phase avec les critiques portant sur l'impact négatif d'Amazon sur les emplois. Vendredi, la secrétaire d'Etat à l'Economie Agnès Pannier-Runacher a appelé les Français à "voter" pour le "made in France" et à privilégier les commerces de proximité à l'occasion du Black Friday. "Consommer à la française, consommer du made in France, consommer chez les commerçants de proximité, c'est rendre service à l'économie et c'est se faire plaisir", a-t-elle déclaré.

Au sein de la majorité LREM, c'est l'ancien secrétaire d'Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, qui incarne le combat anti-Amazon. Le député de Paris a publié la semaine dernière une étude au vitriol contre le géant américain, l'accusant d'avoir causé la suppression de plus de 7.900 emplois en 2018 en France dans le commerce physique. Mounir Mahjoubi s'est également associé à la Confédération des PME (CGPME) pour lancer l'initiative "Le Noël des PME", qui encourage les consommateurs à "acheter français" pour les fêtes de Noël, et privilégier les commerces physiques. Pour séduire aussi les adeptes de plus en plus nombreux du e-commerce, une plateforme en ligne a été mise en service ce vendredi 29 novembre. On y trouve les produits de plus de 100 PME françaises.

Lire aussi : Mounir Mahjoubi accuse Amazon de détruire 7.900 emplois et appelle à acheter français

Coup d'épée dans l'eau ? Amazon et le e-commerce vont quand même battre des records à l'occasion du Black Friday

Ces initiatives vont-elles tuer ou affaiblir le Black Friday ? Rien n'est moins sûr. Porté par la croissance fulgurante du e-commerce en France (100 milliards d'euros de chiffre d'affaires prévus en ligne en 2019, le record de 2018 devrait être explosé), le Black Friday 2019 devrait être un immense succès pour Amazon et pour l'ensemble du commerce en ligne.

D'après la Fédération du e-commerce et de la vente en ligne (Fevad), les ventes sur Internet devraient atteindre 1,7 milliard d'euros sur les quatre jours allant du "Black Friday" de ce vendredi 29 novembre au "Cyber Monday" lundi 2 décembre. Sur l'ensemble des canaux de distribution, ce sont près de 6 milliards d'euros qui devraient être dépensés ce week-end selon une étude de RingCentral.

Quel impact, alors, de cette contestation sociale autour du Black Friday et du consumérisme de Noël ? Les études montrent que pour l'instant, il s'agit encore d'un épiphénomène. Malgré le fait qu'il existe une "fraction de la population", plutôt aisée financièrement et au capital culturel fort, plus "critique" envers le phénomène notamment en raison d'un "argument écologique", "l'hyper-consommation se porte très bien", explique l'économiste Philippe Moati, cofondateur de l'Observatoire société et consommation (Obsoco), dans un entretien à l'AFP. Selon lui, "l'incitation à consommer est permanente" grâce à des outils de plus en plus performants comme "la pression publicitaire, le marketing qui se fait davantage scientifique via l'utilisation des banques de données, ou encore l'intelligence artificielle qui se personnalise". D'où le dépôt, mercredi 27 novembre, d'un amendement à la loi anti-gaspillage par la députée PS Delphine Batho, visant à interdire les campagnes de promotion du Black Friday.

Par ailleurs, selon l'enquête Cofidis/Rakuten/CSA, plus d'un tiers des Français (36%) achètent leurs cadeaux lors de périodes promotionnelles comme le "Black Friday" afin d'optimiser leur budget. 40% des Français déclarent d'ailleurs faire leurs dépenses de Noël dès le mois de novembre (+3 points par rapport à 2018).

"Il n'est pas aisé de faire le lien entre un achat en trois clics sur Internet et les emplois que cela détruit dans le commerce physique et l'impact environnemental de plateformes comme Amazon. Mais c'est en le dénonçant et en proposant des alternatives que l'on va pousser les Français à avoir conscience de ces enjeux pour acheter en conscience", affirme Mounir Majhoubi à La Tribune.

En attendant, Amazon s'apprête à vendre plus de 2,5 millions d'articles par jour du Black Friday au Cyber Monday.