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Le psychologue Jean-Luc Ployé.(Damien Grenon pour le JDD)

Jean-Luc Ployé, le psychologue qui expertise les tueurs en série

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Psychologue auprès des tribunaux, Jean-Luc Ployé a expertisé Michel Fourniret, Pierre Chanal et Francis Heaulme. Aidé par Mathieu Livoreil, il raconte les coulisses de son travail dans l'ouvrage "L'approche du mal".

C'est la première rencontre. Les pages du cahier se tournent avec rapidité, tant il y a de notes à prendre. ­Bruxelles. La prison de Forest. La pièce ­mesure moins de 5 mètres carrés. Une table, deux chaises. Un huis clos. Face à lui, un homme chétif. ­Michel ­Fourniret a alors 63 ans. Il est accusé d'avoir enlevé, violé et tué sept adolescentes. Le tueur en série raconte ses ­assassinats avec moult détails à l'expert psychologue. ­Jean-Luc ­Ployé prend des notes et des notes sur son cahier. À un moment, leur échange se tend. Menace, peur, ­silence. ­Michel ­Fourniret reprend le cours de ses propos, marqué par une perpétuelle autosatisfaction.

 

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Tout se déroule lors d'un après-midi de mai 2005. Le face-à-face va durer huit heures. L'expert psychologue explique qu'une bonne expertise nécessite de s'abandonner à la vérité du tueur en série. Il faut éprouver de "l'empathie" et non de la "sympathie". ­Jean-Luc ­Ployé verra tous ses repères professionnels bouleversés par son tête-à-tête avec ­Michel ­Fourniret. Un avant et un après. Le "tueur des Ardennes" est, selon la formule du psychiatre ­Daniel ­Zagury, le plus abouti des tueurs en série.

Comprendre le mécanisme des tueurs

Jean-Luc ­Ployé exerce depuis 1984. Il a, à son actif, plus de 13.000 expertises psychologiques pour les tribunaux français. La moitié concerne des victimes et l'autre des mis en cause. Le travail auprès des tribunaux consiste à établir le profil psychologique des mis en examen. ­Jean-Luc ­Ployé prend appui sur des tests et des entretiens pour tenter de comprendre le mécanisme des tueurs. Ses travaux doivent ainsi, aux assises, être une aide pour les juges et les jurés. L'expert psychologue peut mener sa mission dans deux cadres juridiques différents. Dans le cadre d'une information judiciaire menée par un juge d'instruction. Il doit notamment soupeser le degré de dangerosité criminologique et l'éventuel risque de récidive du mis en examen. Le rapport d'expertise est alors versé à la procédure. ­L'expert psychologue est convoqué lors du procès. Il explique ce qu'il a mis au jour chez l'accusé, la victime, les deux. Il est amené à rencontrer une victime pour évaluer, entre autres, la crédibilité des propos tenus. Face à un mis en examen ou une partie civile, il s'agit d'écouter et d'observer.

Le second cadre juridique se déroule sur réquisition du procureur de la République. L'expert-­psychologue s'entretient alors uniquement avec les victimes présumées. Il doit estimer l'authenticité du propos du plaignant dans l'urgence. Les conclusions seront lues à l'audience par le juge, si le dossier aboutit à un procès devant le ­tribunal correctionnel.

Il a démystifié le mal

Jean-Luc ­Ployé n'a aucune ­fascination pour la figure du mal. Les pires criminels obéissent à des pathologies déjà répertoriées pour l'espèce humaine. Face au sentiment de toute-puissance de ­Michel ­Fourniret, l'expert en criminologie se glisse dans une relation de maître à élève. Plus il a côtoyé le mal, plus il a démystifié le mal. Il s'est vu confronté à l'autre côté de l'horreur avec les victimes. L'immense majorité des victimes côtoyées étaient des femmes ayant subi des atteintes sexuelles. Elles ont déposé plainte. Il doit évaluer la véracité de leurs paroles. Il ­rappelle que personne n'est égal face au traumatisme. Le sentiment de culpabilité reste bien le syndrome post-traumatique le plus fréquent. Une violence hors du commun disloque la personnalité de fond en comble. On peut éprouver un sentiment de culpabilité parce qu'on juge qu'on n'a pas su se rétablir face à une situation de violence extrême.

Jean-Luc Ployé a grandi près de Troyes, dans un milieu modeste. Son lycée se situait non loin du palais de justice. Il suivait alors, à travers les médias, le ­procès de ­Claude ­Buffet et de ­Roger ­Bontems. Ils avaient ­séquestré un surveillant stagiaire et une infirmière intérimaire à la centrale de ­Clairvaux (Aube), où ils étaient ­emprisonnés. Les deux otages avaient été retrouvés morts. Le jeune ­Jean-Luc ­Ployé a pénétré un jour dans la salle d'audience, où siégeait la cour d'assises de l'Aube. L'avocat ­Robert ­Badinter, défenseur de ­Roger ­Bontems, était en train de plaider. Les deux hommes furent condamnés à la peine capitale et guillotinés en ­novembre 1972. La force des ­propos de ­Robert Badinter contribua à la vocation de ­Jean-Luc ­Ployé.

Du "tueur des Ardennes" au "routard du crime"

L'expert psychologue utilise ­différents tests durant ses ­entretiens. Le Wais ­(Wechsler Adult Intelligence Scale), un test de quotient intellectuel pour adultes et adolescents, et le ­Rosenzweig (une bande dessinée à compléter pour mesurer le degré d'impulsivité). Le test projectif de Rorschach (dix planches avec des taches d'encre à interpréter) est le plus célèbre d'entre eux. Il s'agit, à chaque fois, de tenter de faire émerger la vérité. "Je ne pratique pas une science exacte." L'expert psychologue se confronte à ­Monique ­Olivier, épouse et ­complice de ­Michel ­Fourniret, à la prison de ­Namur.

La découverte du couple ­Fourniret-Olivier marque une rupture dans sa vie professionnelle et personnelle. Il prend part à l'affaire des disparus de ­Mourmelon. Le premier ­travail de profilage en France, pensé avec la gendarmerie, mènera ainsi à ­l'arrestation de ­Pierre ­Chanal. Jean-Luc ­Ployé a rencontré ­Pierre ­Chanal à la prison de Fresnes, en 2003, dix-sept ans après avoir établi son profil. L'expert psychologue décrit l'ex-adjudant, avec lequel il s'est entretenu plusieurs fois, comme une "forteresse imprenable". Il voit ­Francis ­Heaulme, en tête à tête, à trois reprises. Le "routard du crime" a été reconnu coupable de onze meurtres dans neuf affaires criminelles. ­Jean-Luc ­Ployé dresse des portraits extrêmement différents les uns des autres des trois tueurs en série examinés.

Il s'est approché au plus près de l'horreur

L'approche du mal va au-delà de l'analyse d'un métier. Description de l'univers carcéral, réflexion sur la justice en France, méditation sur la figure du mal, ravage des réseaux sociaux chez les adolescents. Jean-Luc ­Ployé relate des témoignages de victimes anonymes. Comment se reconstruit-on quand il n'y a pas de sens à trouver? Il a été notamment bouleversé par des adolescentes rescapées de viols collectifs écoutées lors d'enquêtes préliminaires. Jean-Luc ­Ployé dit : "Je me suis déjà trompé et j'ai déjà été trompé." L'affaire d'Outreau : sept des dix-sept personnes accusées de pédophilie ont été acquittées lors d'un premier procès en 2004, puis six autres, en appel, en 2005. Jean-Luc ­Ployé n'est pas intervenu dans l'affaire ­d'Outreau. Mais le fiasco judiciaire a mené à une profonde remise en question pour nombre d'experts-­psychologues. Leur ­métier est souvent caricaturé. On leur reproche de vouloir excuser le mal, alors qu'ils s'évertuent à comprendre des criminels. L'expert-­psychologue tente, dans une démarche clinique, de rendre compte de l'organisation d'une personnalité obscure. Qu'est-ce qui conduit à faire le mal?

Il raconte aussi leur quotidien. Ils peuvent rouler 300 kilomètres jusqu'à une prison et être renvoyés en une ­seconde par celui qu'ils sont venus expertiser. ­Jean-Luc ­Ployé n'a pas une image désespérée de l'humanité et refuse d'être dominé par les peurs. Sa dernière image de ­Michel ­Fourniret, lors de la rencontre du 5 mai 2005, est celle d'un homme en forme. Il parle de l'expertise de ­Michel ­Fourniret comme d'une blessure mal cicatrisée. L'expert criminologique s'est approché au plus près de l'horreur. Ceux qui ont commis le mal, ceux qui ont subi le mal. Les armes et les âmes. Toutes ces histoires sommeillent quelque part au plus profond de lui-même. Elles reprennent vie, parfois, lors des nuits. ­Jean-Luc ­Ployé se rend régulièrement à la centrale de ­Clairvaux, dans l'Aube. Dans la cour centrale, une stèle est érigée à la mémoire des deux victimes de ­Claude ­Buffet et de ­Roger ­Bontems. Le temps n'y fait rien. Il passe devant, il est ému.

L'approche du mal, Jean-Luc Ployé, avec Mathieu Livoreil, Grasset, 272 pages, 20 pages.