Agriculture : des fraudes corses pourraient coûter 1,4 milliard d’euros à la France

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"Si vous déclarez 10 hectares en montagne et qu'il y a deux hectares de cailloux où rien ne pousse, ça n'est pas éligible" comme pâturage, rappelle une responsable.PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Des abus concernant les aides agricoles européennes ont été constatés par la Justice et dans un rapport confidentiel. La facture pourrait être salée…

Les doutes de Bruxelles sur l’efficacité de la lutte contre la fraude aux aides européennes agricoles en Corse risquent de coûter à la France 1,4 milliard d’aides, pénalisant des agriculteurs vertueux dans tout le pays et les contribuables. Ces abus et les 40% d’anomalies – contre 10% sur le continent – dans les déclarations de surface pour obtenir des aides européennes en 2018 ont conduit Bruxelles à demander 653 contrôles d’exploitations agricoles insulaires, en plus des 200 déjà prévus cette année, selon la préfète de Corse Josiane Chevalier.

Un premier niveau de contrôle via des images aériennes a déjà permis de régler environ 200 cas. Mais il a aussi révélé des anomalies nécessitant 650 visites sur le terrain. L’État français a envoyé 25 contrôleurs pour que tout soit achevé avant la fin de l’année. Les anomalies sont « soit des surfaces déclarées excessives », soit des problèmes sur le pourcentage de terrain propice au pâturage, selon Sabine Hofferer, directrice régionale de l’alimentation, l’agriculture et la forêt (Draaf) sur l’île.

« L’enjeu est considérable »

« Si vous déclarez 10 hectares en montagne et qu’il y a deux hectares de cailloux où rien ne pousse, ça n’est pas éligible (comme pâturage), ou si une route goudronnée traverse une parcelle, elle doit être exclue du calcul de surface », résume Sabine Hofferrer. De son côté, Bruxelles veut s’assurer que les autorités françaises appliquent en Corse les règles prévues et a donc lancé un « audit de conformité », toujours en cours, des systèmes de gestion et de contrôle mis en place par la France, a par ailleurs indiqué une source à la Commission européenne.

« L’enjeu est considérable », a déclaré la préfète de Corse : « Si l’Europe n’est pas convaincue » de l’efficacité des contrôles, elle pourrait décider de ne pas rembourser à la France 1,4 milliard d’euros, soit l’ensemble des aides portant sur les surfaces de pâturage, dites peu productives, dans les 23 départements français – montagnes et pourtour méditerranéen – qui en déclarent. Autre risque : l’arrêt complet de ces aides dans la prochaine Politique agricole commune (PAC). 

Dans un rapport d’enquête, l’Office antifraude de l’Union européenne (Olaf) rappelle la décision d’intégrer dans la surface éligible aux aides des espaces faiblement productifs – maquis, forêts, châtaigneraies – comptant moins de 50% d’herbe, où les éleveurs font pâturer leurs bêtes. Cela a « abouti à un effet d’aubaine dont a pu profiter une minorité d’éleveurs » en Corse, explique l’Olaf. « Certains éleveurs se sont livrés à une chasse à l’hectare » en déclarant des surfaces excessives, sans avoir les moyens de les exploiter et sans l’accord des véritables propriétaires, dénonce l’Olaf.

Escroqueries

Résultat : une hausse de 35% des surfaces bénéficiant d’aides en Corse entre 2014 et 2017, selon les chiffres officiels. L’enveloppe annuelle de 36 millions d’euros d’aide n’étant elle pas extensible, l’aide à l’hectare a mathématiquement baissé, à 184 euros en 2018, pour l’ensemble des agriculteurs corses, pénalisant les exploitants vertueux. 

Anticor s’est basée sur cette enquête européenne achevée en 2018 pour déposer des plaintes à Paris en décembre 2018 et mai 2019, dénonçant des « détournements de subventions publiques agricoles massifs » commis « avec la complicité des autorités de contrôle ». L’association chiffre les fraudes à « 36 millions d’euros » entre 2015 et 2019. Sur l’île, cinq enquêtes judiciaires pour soupçons d’escroquerie aux aides européennes sont aussi en cours : l’une a conclu à une surévaluation du cheptel et des hectares déclarés par le directeur de la Chambre d’agriculture de Corse du Sud et cinq proches, pour un préjudice estimé à 1,4 million d’euros. 

Six personnes sont convoquées devant le tribunal correctionnel d’Ajaccio le 7 avril 2020, pour être jugés pour « escroquerie en bande organisée et blanchiment en bande organisée », selon le Parquet. En Haute-Corse, ce sont quatre membres de la famille d’un dirigeant de la FDSEA qui sont au cœur d’une autre enquête : ils ont touché 760.000 euros d’aides européennes entre 2015 et 2018, mais un seul serait réellement agriculteur, selon la procureure de Bastia. Enfin, trois autres enquêtes sont en cours en Corse du Sud, dont l’une vise un autre responsable de la chambre départementale d’agriculture.