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Une inspection de moteur diesel. Selon « Le Canard enchaîné », lors d'une audience de la CJUE le 7 novembre dernier, tant la Commission que la France auraient estimé que PSA et Renault auraient utilisé des dispositifs « illégaux ».  © MARIJAN MURAT / DPA / dpa Picture-Alliance/AFP

Renault et PSA ont-ils « truqué » leurs moteurs diesel ?

Les instructions des juges parisiens du pôle santé publique sont en cours. Les deux constructeurs jurent n'avoir jamais truqué les tests d'homologation de moteurs.

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Le Dieselgate qui a tant secoué l'Allemagne et Volkswagen va-t-il finir par éclabousser l'industrie française ? Dans l'affaire des émissions de polluants des moteurs diesel, deux informations judiciaires distinctes ont été ouvertes en France pour « tromperie aggravée » sur la qualité des contrôles contre Renault et PSA, respectivement en janvier et avril 2017. À l'époque, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) avait mené des perquisitions tant dans le centre technique de La Garenne-Colombes de PSA que sur des sites Renault.

Concrètement, les deux groupes français mais aussi Volkswagen et Fiat Chrysler sont soupçonnés d'avoir manipulé les moteurs de leurs véhicules diesel afin de minorer leurs rejets d'oxyde d'azote (NOx), gaz odorant toxique, lors des tests d'homologation. « Il s'agit de savoir s'ils ont triché pour atteindre des émissions de NOx au-dessous des seuils de consommation en conditions réelles », résume Bernard Jullien, maître de conférences à l'université de Bordeaux. Le système de dépollution NOx Trap de la firme au losange intéresse notamment les enquêteurs. Les tests se font avant la commercialisation d'un modèle dans l'Union européenne. Autrefois, et pour ces deux procédures, sous la norme NEDC (« nouveau cycle européen de conduite »). Mais depuis le Dieselgate, la nouvelle norme WLTP (« test de véhicules légers harmonisé au niveau mondial »), plus contraignante pour les NOx et des émissions CO2, s'est progressivement généralisée.

Les deux constructeurs français ont toujours clamé être dans les clous. Interrogé par Le Point, un porte-parole PSA assure : « Nous respectons les homologations et faisons preuve de transparence. Depuis 2015, nous avons travaillé à livre ouvert avec deux ONG, Transport et Environnement et France Nature Environnement, sur la consommation réelle et les émissions et le bureau Veritas valide les mesures. » Florent Grelier, ingénieur chez Transport & Environment, tient à préciser : « L'investigation par le parquet de Paris concerne les émissions de NOx des véhicules diesel homologués d'après les réglementations Euro 5 et Euro 6b, c'est-à-dire sur la base de l'ancien essai en laboratoire NEDC. Nous n'avons jamais mesuré les émissions de NOx de ces véhicules. Les mesures de NOx que nous menons avec PSA ne concernent que les véhicules Euro 6d-temp et Euro 6d, c'est-à-dire homologués sur la base du nouvel essai européen en laboratoire WLTP. » De son côté, Renault déclare que « tous les véhicules du groupe ont été homologués conformément à la réglementation applicable et ne sont pas équipés de logiciel d'invalidation ».

Les rapports d'expertise

Les instructions des juges du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris sont toujours en cours et peuvent encore durer des semaines. Les magistrats décideront ensuite soit d'un non-lieu, soit d'un renvoi devant le tribunal correctionnel. Si, à ce stade, aucune mise en examen n'a été prononcée, l'affaire pourrait prendre une autre tournure. Selon Le Canard enchaîné, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) s'apprêterait à rendre un arrêt « début 2020 » qui devrait « comme tout semble l'indiquer » conduire ensuite à la mise en examen par les juges français des deux constructeurs de l'hexagone. Pourquoi ? Car selon l'hebdomadaire, lors d'une audience de la CJUE le 7 novembre dernier, tant la Commission que la France auraient estimé que PSA et Renault auraient utilisé des dispositifs « illégaux ». 

D'après une source judiciaire, deux rapports d'expertise ont été remis, le 17 décembre 2018 pour Renault et le 30 octobre 2019 pour le groupe PSA Peugeot-Citröen, dans le cadre des deux informations judiciaires. Ils concernent en particulier trois modèles phares des deux groupes, les Renault Clio et Captur, et la Peugeot 5008. La question centrale consiste à déterminer si les constructeurs ont utilisé des dispositifs frauduleux dans le but non pas de protéger le moteur et d'assurer le bon fonctionnement du véhicule, mais de tromper les tests antipollution. Selon les conclusions des rapports citées par Le Canard enchaîné, ce serait bien le cas. Pour l'heure, les deux groupes français disent n'avoir pas eu accès aux documents. Mais il est fort probable qu'ils réclament une contre-expertise. « C'est un secret de Polichinelle que les constructeurs aient appris à passer avec facilité les tests d'homologation NEDC grâce à l'optimisation des performances de leurs véhicules, poursuit Bernard Jullien. Mais cette pratique n'est pas du même ordre que la filouterie qui consisterait à avoir utilisé des "dispositifs d'invalidation" pour obtenir l'homologation d'un véhicule. »

Une réglementation européenne complexe

La position de la Cour de justice de l'UE compte beaucoup dans cette affaire, car son avis a été demandé par les magistrats français. Il s'agit pour eux de savoir bien interpréter la complexe réglementation européenne qui encadre les tests d'homologation de moteurs. Le texte de référence est le règlement 715/2007 relatif à la « réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) ».

Son article 5 dispose que « l'utilisation de dispositifs d'invalidation qui réduisent l'efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite ». L'article 3 alinéa 10 définit ce qu'on entend par « dispositif d'invalidation » : cela « signifie tout élément de conception qui détecte la température, la vitesse du véhicule, le régime du moteur en tours/minute, la transmission, une dépression ou tout autre paramètre aux fins d'activer, de moduler, de retarder ou de désactiver le fonctionnement de toute partie du système de contrôle des émissions, qui réduit l'efficacité du système de contrôle des émissions dans des conditions dont on peut raisonnablement attendre qu'elles se produisent lors du fonctionnement et de l'utilisation normaux des véhicules ».

Les juges devront décider si Renault et/ou PSA ont triché. L'enjeu est colossal : outre la responsabilité pénale des dirigeants qui peut-être engagée, les amendes pour les deux constructeurs français, en cas de condamnation pour tromperie, peuvent atteindre chacune jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel. Soit plus de 5 milliards d'euros ! Renault, qui tente de relancer l'Alliance avec Nissan et Mitsubishi, et PSA, qui négocie une fusion avec Fiat Chrysler, croisent donc les doigts...

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