La proposition de loi française de lutte contre la cyberhaine sévèrement critiquée par l'Europe
Le texte contre la haine en ligne porté par Laetitia Avia fait l'objet de reproches de la part de l'Union européenne. La députée à réagi à ces observations.
La proposition de loi relative à la lutte contre la cyberhaine à la française peine à convaincre l’Europe. Le texte, porté par la députée Laetitia Avia depuis mars 2019, été épinglé par la Commission européenne, mercredi 27 novembre. Comme le rapporte NextInpact, l’exécutif européen a publié plusieurs « observations » qui montrent les risques d’incompatibilité entre le droit européen et le dispositif français. Ces critiques ne sont pas de nature contraignante.
Lutter contre la cyberhaine, entrave à la liberté ?
Néanmoins, la note pointe du doigt une contradiction juridique avec la libre circulation des services de la société d’information entre les États membres consacrée dans la directive sur le commerce électronique. La Commission s’interroge également sur l’encadrement trop « formel » de la responsabilité des plates-formes dans la proposition de loi française, par rapport à l’article 14 de la directive e-commerce 2000. En clair, l’institution souligne que le dispositif français de retrait en moins de 24 heures irait à l’encontre de la liberté de la société d’information chère à l’Union européenne (UE).
La Commission reprend également à son compte les critiques des défenseurs des droits numériques à l’égard du risque d’un glissement vers un système de surveillance généralisée contraire aux libertés fondamentales. Dans la proposition de loi Avia, le filtrage a priori d’un contenu ne serait pas conforme au droit européen.
La Commission explique donc que certaines plates-formes en ligne « répondront à cette obligation en appliquant simplement un filtrage automatique de surveillance des contenus licites et illicites, sans analyser véritablement le contexte dans lequel ces contenus sont postés. […] Ceci risquerait ainsi d’entraîner la suppression de contenu licite et par conséquent porterait atteinte à la liberté d’expression », peut-on lire dans la note.
La France épinglée à titre d'exemple
Sur la forme, le document explicite que le texte français va à l’encontre de la refonte communautaire sur la responsabilité des plates-formes voulue par la nouvelle présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen. L’objectif de cette lettre est donc aussi de prévenir le morcellement des législations nationales des États membres, c’est-à-dire d’éviter la généralisation de la stratégie du cavalier seul.
Cette missive s'ajoute aux récentes critiques formulées par la République Tchèque qui a délivré un « avis circonstancié » clairement opposé à la proposition de loi française. Les auteurs du document, révélé également par nos confrères de NextInpact, ne mâchent pas leurs mots.
« Le texte proposé [par la France] a pour objectif de renverser l'un des principes fondamentaux énoncés dans la directive sur le commerce électronique […] à savoir : l'absence d'obligation de surveillance généralisée, sans oublier un régime de responsabilité taillé pour protéger la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre, tout en permettant juridiquement la lutte contre les contenus illicites. »
« Tout ce qui peut améliorer le texte est bon à prendre »
En réaction à ces revers européens, Laetitia Avia se veut pourtant rassurante. Ces reproches vont être pris en compte, mais la loi n’est pas remise en question. La députée LREM n'en démord pas :
« Contrairement à ce que certains ont pu écrire, ces observations n’enterrent pas le texte dans la mesure où la Commission a choisi d’émettre des observations et non pas un avis circonstancié », rapporte NextInpact. « J’appréhende ces observations de la même manière que celles du Conseil d’État : tout ce qui peut améliorer le texte est bon à prendre. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que j’échange avec le Sénat depuis septembre », poursuit-elle interrogée par nos confrères.
Laetitia Avia a estimé qu’une seule mesure a été « sévèrement taclée ». Il s’agit de « l’amendement du groupe pour empêcher la rediffusion des contenus supprimés. Ça ne passe pas l’examen de conformité. », a-t-elle déclaré. La députée soutient qu’« en dehors de ça, on ne touche ni au cœur ni aux poumons du texte ». « On rafistole quelques artères pour suivre les suggestions de la Commission européenne ».
La députée a d'ailleurs profité de l'actualité brûlante du jeudi 28 novembre autour du hashtag #Noisiel et de la déferlante d'insultes homophobes sur Twitter pour rappeler son engagement en faveur de sa proposition de loi.
Le texte, qui faisait l’objet d’une procédure législative accélérée en France, doit être examiné le 11 décembre en commission, et débattu en séance publique le 17 décembre au Sénat.
Source : Commission européenne [PDF] via NextInpact