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Finis les managers cogneurs, place aux facilitateurs

Le chef autoritaire, c'est de l'histoire ancienne. Le manager idéal doit désormais conjuguer écoute, bienveillance et… exigence. Reste à savoir comment.


Son style de management était réputé cassant du temps où il travaillait chez Renault. Quand il est arrivé, en 2014, à la tête du groupe PSA au bord de la faillite, Carlos Tavares a changé de méthode. Son nouveau mantra ? L'écoute active. En réunion, ce patron s'oblige à se taire pour mieux faire émerger les idées de ses collaborateurs. «C'est dur, mais j'ai appris à me soigner», confiait-il récemment au journal Les Echos. Cette soudaine modestie s'est avérée payante. Le constructeur automobile a renoué avec les profits. Et Carlos Tavares, artisan du redressement, a compris la leçon : pour qu'un plan stratégique fonctionne, il faut que les collaborateurs y adhèrent. Le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de les laisser s'exprimer et de leur accorder sa confiance.

Fini le temps où, en manager de droit divin, il suffisait de taper du poing sur la table pour mettre ses troupes en ordre de bataille. Que vous soyez big boss ou chef d'équipe, votre mission première est d'«embarquer» vos équipes. Un immense défi quand dans notre pays, cancre de l'Europe en la matière, le taux d'engagement actif des salariés, mesuré par l'institut Gallup, plafonne à 6%. «Il est urgent de réinventer le management, cet ensemble de process conçus par des gars du Middle West à la fin du XIXe siècle», plaide avec humour Frédéric Rey-Millet, fondateur d'EthiKonsulting et auteur d'un livre avec le manager sportif Christophe Urios. Lui s'emploie à dépoussiérer le métier avec ses formations Rebelles du Management, qui ont déjà séduit de grosses boîtes comme la Société générale, Enedis ou Legrand. «La véritable innovation à mener est humaine», renchérit l'experte en leadership Nathalie Rodary, qui vient de publier Nouveau monde cherche nouveaux dirigeants (Guy Tredaniel Editeur).

Mais alors quel est le profil idéal du manager que traquent aujourd'hui cabinets de recrutement et entreprises ? Dans une société en pleine transformation, l'une des premières compétences requises est la capacité d'adaptation. «Nos clients n’ont que ces mots à la bouche: la conduite du changement», témoigne Fatine Dallet, directrice senior chez Michael Page. Ils ciblent des candidats capables de bousculer les codes pour faire mieux et plus vite.» Où trouver ces trublions ? «Autrefois, on piochait les managers dans le vivier des entreprises du CAC 40. On s'arrache désormais les profils de type entrepreneurs ou start-uppeurs qui ont exercé des tâches multiples et dont les échecs sont plus facilement valorisés», observe Géraud de la Pontais, responsable de la plateforme Cadreo au sein du groupe HelloWork.

Bien sûr, le management diffère selon la situation. Dans les entreprises à faible marge, qui se concentrent sur la maîtrise des coûts, il est met plus l'accent sur le contrôle. Dans les secteurs à forte innovation, il est plus ouvert. Prenez Toucan Toco, cette start-up du numérique spécialisée dans la data visualisation et le reporting. «Dans notre environnement de haute performance où il faut gérer l'incertitude avec agilité, on ne peut pas se permettre une posture de command and control», explique Kilian Bazin, l'un des fondateurs. Ici, après cinq ans d'existence, les effectifs atteignent 75 salariés. Et on a banni le titre de manager au profit de celui de leader d'équipe. Peu importe son niveau d'expertise technique, «le leader, reprend Kilian Bazin, n'est pas le sachant qui en impose par son autorité mais un coach qui questionne et suggère».

Delphine Douetteau, responsable Talent & Développement chez ADP, société de conseil en gestion de capital humain, évoque de son côté ce manager promu à la tête d'une équipe d'experts : snobé à ses débuts à cause de ses connaissances lacunaires du métier, il a gagné la confiance de ses collaborateurs en se posant comme facilitateur. A l'un d'eux qui butait sur un problème technique, il a par exemple ouvert son carnet d'adresses, lui permettant d'échanger avec d'autres pointures du sujet et de trouver la solution. Pas question pour autant de rester sur ses acquis : «Il faut montrer son appétence pour la formation continue», conseille Bertram Durand, directeur du cabinet CNPG. C'est aussi une preuve d’adaptabilité. Une qualité d'autant plus recherchée qu’un Français sur trois est mécontent de la qualité de son manager. C'est même la raison principale des démissions prématurées. Selon une enquête d'avril 2019 du cabinet Robert Walters, les cadres qui rompent leur période d'essai sont plus d'un sur deux (53%) à invoquer un problème de management. Comme 60% de ceux qui claquent la porte après dix-huit mois.

Or la tension est telle sur le marché du travail, où le rapport de force est en faveur des candidats, que les entreprises n'hésitent plus à inscrire le niveau de turn-over au sein de l'équipe parmi les critères de bonus des managers. Moins vous «perdez» de collaborateurs, plus votre bonus augmente. Mieux vaut s'adapter à ce que vos recrues attendent de vous! «Les jeunes générations ont une vision beaucoup plus holistique du travail, décrypte Michel Tobelem, partenaire du cabinet Beyond Associés. Ils ne veulent pas tant gravir les échelons que développer leurs compétences. Ils sont en recherche de sens pour s’épanouir professionnellement et veulent un équilibre vie professionnelle-vie personnelle plus assumé.» Cette dernière aspiration est même partagée par l'ensemble des actifs. Plus question donc, d'être un manager totalement directif, «orienté résultat», ou persuasif, pourvoyeur de ressource.

Il s'agit de se montrer inspirant. «De donner du sens et plus seulement des instructions», résume Delphine Duetteau. Cela suppose d'expliquer le but à atteindre et non de l'imposer de façon autoritaire. Le must ? Faire participer les collaborateurs à la définition de leurs objectifs. Comme chez Eurécia, une start-up toulousaine qui développe depuis 2006 un logiciel de ressources humaines. «Chacun des 80 salariés est force de proposition», se félicite le fondateur, Pascal Grémiaux. Idem chez Toucan Toco. Le salarié présente ses objectifs, son leader d'équipe s'assure qu'ils sont en phase avec ceux de sa troupe et de l'entreprise. «C'est un bon moyen de créer l'adhésion et même d'inciter les collaborateurs à se dépasser», souligne Noëmie Cicurel, dirigeante du cabinet Robert Half.

Attention : inviter ses collaborateurs à coopérer ne signifie pas tomber dans le piège du consensus mou. «Beaucoup de nos clients reprochent à leurs managers de ne pas savoir prendre de décision», prévient Coralie Rachet, à la tête de Robert Walters France. Ces managers bisounours seraient-ils bloqués par l'envie d'être aimés et bien notés dans les enquêtes de satisfaction des collaborateurs ? Ou bien s'autocensurent-ils par crainte de l'arsenal juridique mis en place en matière de risques psycho-sociaux et de harcèlement, par exemple ? Les entreprises attendent d'eux qu'ils concilient exigence et bienveillance, «le fond et la forme», synthétise Michel Tobelem. De la force de conviction, oui, mais construite sur une certaine idée de justice et une grande cohérence entre actes et valeurs. Concrètement, face à une équipe, cela passe par des attentes claires en amont et du feed-back permanent en aval.

Chez Toucan Toco, on n'attend pas la dernière extrémité pour recadrer un collaborateur. «La discussion est permanente, factuelle et orientée sur les voies de progression, indique Kilian Bazin, qui encourage les échanges de bonnes pratiques entre ses leaders d'équipe. On a ainsi réalisé que, lors des entretiens de cadrage, l'interlocuteur passe souvent à côté de la discussion en raison de ses émotions. Du coup, on reformule systématiquement les signaux d'alarme par écrit. Cela permet de remettre en selle des collaborateurs. Et de n'envisager la séparation qu'en dernier recours, avec respect. Il nous arrive de reconnaître une erreur collective, lorsque nous avons été trop ambitieux ensemble.» De son côté, la coach Nathalie Rodary se souvient de ce commercial licencié de façon circonstanciée pour ses retards en rendez-vous et ses excès de vitesse sur la route. Quelques années après, il a remercié son ex-boss de l'avoir aidé à grandir…

L'ennui, c'est que ce néomanager authentique, ferme mais bienveillant, assertif et inspirant n'est formé… nulle part : 40% des cadres n'ont suivi aucune formation en management, indique une récente étude Cadreo. La parade ? La formation en interne. Chez Eurécia, Pascal Grémiaux a ouvert en grand les vannes du coaching à ses managers, à raison d'au moins deux heures par mois, «pour les aider à changer radicalement de posture». La démarche est plus profonde qu'il n'y paraît. «La confiance en soi est la base d'un lien fécond avec ses collaborateurs. Elle s'acquiert en libérant son ego», souligne Nathalie Rodary. Le manager idéal ne brille pas. Il éclaire.

Les “mad skills” ont la cote

On connaissait les hard skills, ces stars du CV que sont l'expérience professionnelle et le bagage technique. On s'était familiarisé avec les soft skills, ces compétences comportementales dont la plus recherchée actuellement est la capacité d'adaptation. Voici venu le temps de valoriser vos mad skills. Ce terme d'utilisation récente dans le secteur des ressources humaines fait référence à votre «singularité», appréciée à travers vos engagements personnels, vos loisirs atypiques ou encore vos expériences professionnelles sans cohérence avec votre CV.

Dans une étude datée de septembre 2019, conduite par le moteur de recherche Indeed, 68% des recruteurs disent attacher de l'importance aux hobbies mentionnés sur un CV. En entretien, leur curiosité se polarise sur une expérience hors du commun (75%), des projets personnels exigeant beaucoup d'investissement (71%), des centres d'intérêts originaux (63%) et même… des périodes d'inactivité (44%). Peu ou prou, tout ce que les chercheurs d'emploi tentent de dissimuler ! «Les recruteurs sont de toute évidence en quête de profils singuliers et adaptables», concluent les auteurs de cette étude. Et d'ajouter : «Candidats, n'ayez plus peur d'être vous-mêmes !»