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Le buzzer stéphanois.

La montagne Ruff

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En battant un record d'Ivan Ćurković, dimanche 24 novembre, Stéphane Ruffier est entré dans la mythique histoire des Verts. Entre Monaco et Saint-Étienne, le gardien cumule plus de dix ans au plus haut niveau, plus de 400 matchs de Ligue 1, un passage en équipe de France et des statistiques qui font de lui l'une des références à son poste. Pourtant, il reste, à 33 ans, un drôle de mystère. Il était temps de le percer.

Il faut l’imaginer en débardeur, tatouages apparents, lâché au milieu d’Orcet, un petit village du Puy-de-Dôme. À l'été 2011, Stéphane Ruffier est à un virage. Un an après avoir croqué sa première cape internationale avec les Bleus lors d’un Norvège-France, le gardien de 24 ans vient alors de quitter Monaco

et de poser ses valises dans un hôtel de Saint-Étienne. Le bonhomme a déjà tout connu : la bagarre pour devenir numéro un, un transfert avorté à Lille, une Coupe du monde, une relégation en Ligue 2... Tout, sauf une journée en Auvergne, avec une caisse de mignardises sous le bras et des convives à régaler.



La suite de l’histoire est racontée par le journaliste Manu Lonjon, vieil ami de Ruffier : « J’étais en week-end à Clermont, d’où ma famille est originaire. Comme je savais que Stéphane était à Saint-Étienne, je lui ai proposé de me rejoindre chez mes parents. Il a accepté et est venu. Ce week-end-là, mon petit frère, qui est traiteur, m’avait demandé de l’aide pour une livraison, et Ruff nous a accompagnés. Il devait attendre dans la voiture. Arrivé à destination, je porte une première caisse, puis une seconde, et là, je me retourne et je vois Ruff avec une caisse sous le bras. »

Les gens chuchotent, cherchent à comprendre comment un gardien international peut se retrouver livreur improvisé. Un adulte ose s’approcher. « Je vous connais, non ? » lâche-t-il. Réponse de Ruffier : « C’est possible oui... » Relance du curieux : « Mais vous n’êtes pas le footballeur ? Je vous ai vu à la télé... Vous jouez où ? À Monaco, non ? » Démasqué, Stéphane Ruffier se marre, glisse que son aventure avec l’ASM est terminée, puis rejoint le camion. À cet instant, un autre convive file à la rencontre de Lonjon et gratte encore un peu : « Mais... il travaille vraiment pour vous ? » « Je lui ai dit que oui, depuis deux semaines » , rejoue le journaliste, avant de résumer l’affaire : « Le Ruff que je connais, c’est celui-là. » Et c'est aussi celui que le reste du monde ne connaît pas.

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Le Ruff-top

À 33 ans, Stéphane Ruffier a l’image d’un homme-tortue, d’un type qui se balade en permanence avec une carapace sur le dos. « Dans le foot, c’est ce qu’il manque à beaucoup de joueurs, estime Anthony Maisonnial, arrivé au Paris FC l’été dernier après avoir connu Ruffier lors de ses débuts chez les pros à Saint-Étienne. Il est à part, souvent dans sa bulle, mais je pense que s’il en est là où il est aujourd’hui, c’est aussi grâce à ça. Il est comme ça Stéph’, et personne ne pourra le changer. » Ruffier a sa part de mystère : celle entourant un homme qui vient pourtant

de franchir une légende nommée Ivan Ćurković. C’était dimanche 24 novembre, à Geoffroy-Guichard, lors d’un ASSE-Montpellier (0-0). La soirée avait débuté par la réception d’un cadre offert par son président, Roland Romeyer, elle s'est bouclée par un 159eclean sheet en carrière - un record parmi les gardiens de Ligue 1 en activité - pour le rempart stéphanois, qui est donc devenu le gardien le plus capé chez les Verts en championnat (304 matchs au compteur). Cerise sur le gâteau, Ruffier a sorti deux arrêts monstrueux. Et c’est finalement tout ce qui lui importait : la performance. « L’histoire... laisser une trace... Oui, ça lui fait plaisir, mais pour lui, l’important, c’est surtout d’être bon, en permanence » , appuie Patrick Glanz, son agent historique. La bulle, toujours la bulle.

Cela tient d’abord à un poste : gardien, le mec qui s’habille différemment, le type qui a le droit de prendre le ballon avec les mains, le joueur chargé de détruire le plaisir de ses adversaires. Partant, Stéphane Ruffier s’est conditionné depuis le premier jour à être une machine qui cherche en permanence à se perfectionner. « Et ça, tu le comprends en une seule séance à ses côtés, confie Franck L’Hostis, formé à l’AS Monaco et désormais au Puy-en-Velay. C’est un monstre, une brute de travail, et c’est ce qu’il m’a inculqué : la culture du travail, la rage de prendre un but, même lors d’un spécifique à l’entraînement. » Mais cela tient aussi à la nature du personnage, un solitaire difficile à cerner, qu’il faut apprendre à apprivoiser. Ainsi, le premier contact avec Ruffier peut être une drôle d’expérience. « C’est vrai que quand tu ne le connais, tu n’as pas forcément envie de lui taper dans le dos en lui demandant comment ça va » , image Manu Lonjon, qui a rencontré l’ancien gardien de Monaco il y a maintenant une douzaine d’années. « Dans son caractère, Stéphane, c’est tout sauf un hurluberlu, poursuit Guillaume Warmuz, qui a côtoyé Ruffier sur le Rocher au milieu des années 2000. On aimerait qu’il s’ouvre plus, mais il a certainement des blessures qui le poussent à se renfermer. Ça ne m’étonne pas, d’ailleurs, qu’en vieillissant, il soit devenu encore plus solitaire. » Et donc encore plus mystérieux, au point de ne pas « dégager une grande sympathie dans le monde du foot » selon Mathieu Coutadeur, devenu un proche du portier : « J’ai réussi à découvrir la grande personne qui se cache derrière tout ça, mais aussi le grand sensible. Il a cette image médiatique, il fait un peu "tache" dans ce drôle d’univers qu’est le football, mais les gens ne cherchent pas toujours à le connaître. »

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En vert et contre tous

Face à son silence, le monde du foot a préféré lui coller de nombreuses étiquettes : Ruffier le CRS, Ruffier le mec avec une élocution trop brute, Ruffier qui hurle sur un adversaire, Ruffier le gardien au regard évasif ou encore Ruffier l’ours du Forez. Des clichés exploités par Julien Cazarre dans l’émission J+1. « Je suis convaincu que certaines personnes pensent qu’il est comme ça dans la vie, enchaîne Manu Lonjon. Sauf que Stéphane est tout sauf ce mec-là. » « J’ai toujours été discret, réservé, justifiait Ruffier dans un entretien à Yahoo Sport en janvier dernier. Je n’ai jamais aimé me faire remarquer quand j'entrais dans une pièce. C’est une forme de timidité. Les réseaux sociaux, ce n’est pas juste échanger avec des gens qui t’aiment bien, c’est aussi une source de conflits et je n’ai pas envie de ça. Je considère que je suis un footballeur qui doit être jugé sur ce qu’il fait quand il joue au foot. » En coupant les vannes avec le cirque médiatique, Ruffier a alors construit sa zone de protection, renforcée par des performances sportives impeccables. Le gardien des Verts n’étant pas un habitué des bourdes, excepté un contrôle manqué lors d’un PSG-ASSE d’août 2014. Pour trouver le vrai Stéphane Ruffier, il faut donc changer de piste.

Du jet ski à Knysna

Et partir là où le colosse se sent le mieux : dans l’eau. « Stéphane, c’est un homme de l’océan » , pose Glanz. C’est dans les vagues du Pays basque qu’il se trouvait quand Raymond Domenech et Bruno Martini cherchaient désespérément à le joindre en juin 2010. En Afrique du Sud, où l’équipe de France s’apprête à imploser, Cédric Carrasso vient de se blesser lors d’un spécifique, et la FIFA autorise le staff des Bleus à le remplacer numériquement. « J’étais parti faire du jet ski, raconte Ruffier, toujours à Yahoo Sport. Je m’éclate et quand je rentre dans ma voiture, je vois que j’ai des dizaines d’appels, de mon agent et de plein de numéros que je ne connais pas. Au départ, j’ai pensé que c’était un club qui avait appelé pour moi. Mais c’était l’équipe de France. Je ne m’y attendais pas du tout, je n’étais même pas réserviste. » Le Basque rentre chez lui à Bayonne, file à Monaco en urgence pour récupérer des papiers et s’envole le lendemain depuis Paris pour Le Cap, via Johannesbourg. Sauf que dès le départ à Paris, le vol réservé a du retard et le portier rate sa correspondance dans la foulée. Ruffier baragouine en franglais aux guichets et réussit à se faire comprendre avec l’aide d’un certain Alexandre Ruiz, croisé par hasard dans le hall de l’aéroport de Johannesbourg. « Alors que la veille, je faisais des barbecues et du jet ski chez moi... »

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Le Pays basque, là où Ruffier rentre dès qu’il a trois jours off. Pour retrouver ses racines, ses potes d’enfance et son élément : l’océan. Mathieu Coutadeur se souvient d’une séance de surf, à Quiberon, en plein hiver, un lendemain de Lorient-ASSE : « C’était en février et on avait pris nos planches. L’eau était à 9 degrés, rembobine l’ancien Lorientais, qui joue aujourd’hui à l’AC Ajaccio. Stéphane m’a tout de suite fait partager cette passion et ensuite, pendant certaines vacances, il m’arrivait de le rejoindre dans le Pays basque pour faire des circuits de jet ski. » Autre passion du bonhomme : les voitures. C’est précisément par ce biais qu’il a rencontré Manu Lonjon. À l’époque, ce dernier n’est pas encore journaliste, mais vendeur de bagnoles. Lonjon : « Quand je lui ai livré la voiture, un 4x4 gris clair, à Monaco, il m’a dit : "Je t’inviterai à manger, tranquille."

Quand tous les autres joueurs te disent ça, ils t’invitent au restaurant. Ruff, non, il m’a invité dans son appartement. J’ai mangé un steak et des patates chez lui. » Hors des radars, Stéphane Ruffier est tout sauf un mur.

« Il aura au moins joué une fois la Coupe du monde... »

« Les gens ne me voient que sur un terrain de foot, quand je suis dans la concentration et l’effort. Ce n’est pas mon meilleur visage, mais ce n’est pas grave, confiait-il un jour à L’Équipe. Je n’écoute pas ceux qui me font passer pour l’homme que je ne suis pas. Au fond de moi, je me dis : "Si vous saviez à quel point vous vous trompez..." » Enfant, Stéphane Ruffier aurait pu, lui aussi, se planter. Car, au début, le Basque cavalait en short, mais sans gants sur les mains. Il était attaquant. Déjà, il n’avait peur de rien. « L’engagement sur le terrain, ça ne sort pas des livres d’enseignement, on voit tout de suite ceux qui sont plus agressifs » , remet Gérard Parmentier, devenu plus tard son entraîneur spécifique à l’Aviron bayonnais. « S’il pouvait passer devant les autres pour commencer un exercice, il le faisait » , embraye Michel Camiade, son premier éducateur au club bayonnais. Alors, plutôt que de cirer le banc de l’équipe une, Ruff a enfilé les gants et s’est imposé comme le meilleur gardien dès le premier entraînement. Il a huit ans. « Mais à cet âge-là, je ne pouvais pas sortir l’autre gardien du jour au lendemain, glisse Michel Camiade, trente ans de métier dans le rétro avec cette catégorie. Ce n’est pas le monde pro, il faut un peu de tact. Donc, dans les matchs faciles, c’était l’autre gardien, et dans les matchs difficiles, c’était Stéphane. »

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Aux Fêtes de Bayonne 1998. Stéphane a 11 ans.

Puis, il y aura le Mondial 98 et un tournoi organisé quelques semaines avant la compétition entre les meilleures équipes du district des Pyrénées-Atlantiques : le vainqueur pourra disputer un match en lever de rideau d’Argentine-Japon, à Toulouse. Dans les cages de l’Aviron, Ruffier, avec ses cheveux bruns et son maillot bariolé, est indéboulonnable. Camiade se souvient de ce dernier match « contre Anglet, où le nul nous suffisait. Eux, ils avaient besoin de gagner. Alors, j’ai fait une équipe pour ne pas perdre.  » L'Aviron tient le nul. À la fin de la rencontre, Peio Sarratia, conseiller technique régional qui fut accessoirement le premier sélectionneur de Didier Deschamps en U13, s’approche de Camiade : « Michel, tu les as fait déjouer. » Parade du coach : « Écoute Peio, tu les entends chanter sous la douche ? Mon salaire, c’est ça ! » Ainsi, Ruffier et sa bande ont joué sur la pelouse du Stadium le 14 juin 1998, avant de regarder avec des étoiles dans les yeux Gabriel Batistuta donner la victoire à l’Albiceleste. « Il aura au moins joué une fois la Coupe du monde » , souffle Camiade avec son accent basque. Voilà où se situe, pour beaucoup, la limite de l'immense gardien qu’est ensuite devenu Stéphane Ruffier. Repéré au printemps 2002

par Arnold Catalano, un recruteur de l’AS Monaco, il est repassé par Bayonne trois ans plus tard pour une saison en National, en prêt, avant de devenir le patron à l’AS Monaco et à l’AS Saint-Étienne. Ruffier avait tout pour lui, pourtant, aujourd'hui, il ne compte que trois sélections chez les Bleus, n’a jamais joué le moindre match de Ligue des champions et n’a qu’une Coupe de la Ligue accrochée au CV. Mais que lui manquait-il pour atteindre les sommets ?

À la poursuite de Janot

Interrogé par France Football en 2017, Guy Lacombe, l’entraîneur qui lui a donné le brassard de capitaine à Monaco, avançait une réponse : « Il n’a pas évolué dans l’aspect moderne du poste de gardien. Il n’a pas pris le tournant qui arrivait avec le profil à la Neuer dans le jeu au pied et les sorties aériennes. » D’autres estiment que si Ruffier n’a pas touché la barre supérieure, c’est à cause de son caractère entier. Avec lui, pas de cirage de pompes. Peu de communication. Aucune connivence. Pas de calcul, pas de concession, que du brut de décoffrage. Pas question non plus de laisser quoi que ce soit - même des miettes en Coupe de la Ligue - à ses concurrents. C’est justement grâce à cet état d’esprit que Stéphane Ruffier a toujours gagné sa place et qu’il a posé son carrosse sur l’autoroute du succès en prenant coup sur coup le trône à deux cadors : Flavio Roma à Monaco, Jérémie Janot à Saint-Étienne. À la suite du forfait de Steve Mandanda avant le Mondial 2014, le gardien des Verts était même passé numéro deux derrière Hugo Lloris. C’était son heure... et Deschamps le lui aurait aussi sous-entendu. Sauf qu’au retour de blessure de Mandanda, ce dernier reprend sa place de second dans la hiérarchie et fait de nouveau reculer Ruffier, qui n’a plus l’envie de venir chez les Bleus pour être une roue de secours.

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« Dans son état d’esprit, il n’est pas fait pour être une doublure, explique Warmuz, qui avait vu débarquer à Monaco un jeune homme sans complexe. Tous les gardiens préfèrent être numéro 1, c’est sûr, mais lui n’avait ni cette âme, ni la patience pour que les choses se fassent naturellement. » Diagnostic confirmé par Sylvain Marchal, ancien camarade à Sainté : « Stéphane aime avoir des responsabilités. Et quand il n’a pas ce qu’il veut, il peut être ronchon. En fait, il ne sait pas mettre ses états d’âme de côté. » Un an après le Brésil, il s’entend alors avec Didier Deschamps, un autre Basque, pour ne plus être appelé en équipe nationale dans ce rôle. Résultat : Stéphane Ruffier ne verra plus Clairefontaine.

Ni Clairefontaine ni un podium de l’UNFP : au cours de sa carrière, l’international français n’a jamais été élu meilleur gardien de Ligue 1. Alors, quoi ? On reproche à Ruffier de n’être jamais allé plus haut que Saint-Étienne, un club qu'il a participé à hisser régulièrement en Coupe d'Europe - même si les Verts n’ont plus fourré leur pif sur un podium de première division depuis les années 1980. Il y a quelques années, Ruffier aurait pu franchir le pas : la Roma s’était présentée à lui, via la voix de Rudi Garcia, puis... « Du jour au lendemain, plus rien » , regrette Patrick Glanz, qui avoue avoir discuté avec plusieurs clubs anglais, « mais jamais le top five » . Stéphane Ruffier n’a jamais quitté le Forez, car à ses yeux, partir, c’était pour « le must, et non jouer le milieu de tableau à l’étranger. » L’homme a choisi une autre voie, est devenu un héros chez les Verts, a dépassé Ćurković et se rapproche tout doucement du record absolu de Jérémie Janot (386 matchs dans les bois verts, 367 pour Stéphane Ruffier toutes compétitions confondues). Sous contrat à Sainté jusqu’en 2021, Ruffier est promis à une fin de carrière au club. Puis, arrivera un jour où il rentrera de nouveau chez lui, où l’attend sa planche. Au Pays basque, sa terre, son océan : la tortue aura retrouvé son élément.

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