Il y a un an, la manifestation des "gilets jaunes" secoue Paris et le maintien de l'ordre
by Auteur(s): Par Grégory DANEL et Simon VALMARY - Paris (AFP)L'Arc de triomphe vandalisé, l'ouest parisien livré à l'émeute: l'acte 3 des "gilets jaunes", le 1er décembre 2018, a surpris autorités et forces de l'ordre par le niveau de violence qui a embrasé les rues, les conduisant à revoir leur stratégie de maintien de l'ordre.
Interrogé sur ces journées de décembre, un commissaire parisien résume un sentiment largement partagé par ses pairs: "Le 1er, on s'est pris une raclée. Le 8, on a gagné".
"Le 1er, tout le monde a été sidéré. Qui aurait pu penser que ce mouvement des +gilets jaunes+ puisse en arriver là?", interroge cette source policière. "Ca a été un choc psychologique de voir autant de haine. Ce qui nous paraissait inébranlable nous a semblé soudainement fragile." Comme l'Arc de Triomphe.
Vers l'insurrection
Son saccage est l'un des épisodes les plus spectaculaires de ce samedi où 10.000 manifestants, dont 3.000 à 5.000 "dans une logique de casseurs" selon le gouvernement, ont fait flirter Paris avec l'insurrection.
Dans un brouillard de lacrymogène, le monument érigé en 1836 aura changé de mains à six reprises, avant que les forces de l'ordre ne s'en rendent définitivement maîtres vers 18H30, "dans une logique de combat", dira Christophe Castaner devant les députés, le 3 décembre.
Un an après, le ministre de l'Intérieur rappelle qu'il n'était pas possible de "tenir" l'Arc de triomphe face aux manifestants, "sauf à exposer la vie des hommes". Ce qu'il refusa. Tant pis pour le bâtiment.
Pour "Vlad", gilet jaune "pacifique" de l'Essonne présent dans Paris ce jour-là, ce faits d'armes a été une "double victoire": "une victoire politique parce que ça a donné une énorme publicité au mouvement, notamment à l'international ; et malheureusement pour la police, une victoire sur le terrain parce qu'ils ont été complètement submergés."
"Mais la statue brisée (à l'intérieur), ça m'a vraiment déplu", tempère-t-il: "Prendre possession de l'endroit, c'est bien. Le respecter, c'est mieux."
Profils hétéroclites
Après un deuxième acte déjà marqué une semaine plus tôt par des violences sur les Champs-Elysées (103 interpellations), les affrontements démarrent particulièrement tôt, peu après 8H30, ce samedi 1er.
Jusqu'en soirée, ils se répandront d'un quartier à l'autre sur une bonne moitié de la rive droite, faisant plus de 133 blessés. Un manifestant sera grièvement blessé par la chute d'une grille du jardin des Tuileries descellée par la foule.
Les pompiers interviennent sur 249 feux, une centaine de véhicules partent en fumée, six immeubles sont incendiés. Attaqués dans leur fourgon, des policiers abandonnent un fusil d’assaut. Il n'a jamais été retrouvé. 412 personnes sont interpellées (682 pour toute la France). C'est alors un record.
Les émeutes parisiennes éclipsent d'autres graves incidents à Albi, Tarbes, Bordeaux, Troyes, mais aussi Narbonne où des manifestants dévastent un péage et une caserne de gendarmerie. Au Puy-en-Velay, la préfecture est incendiée.
Dans la capitale, "la manifestation est partie hors contrôle", résume "Vlad". "Ce n'était pas des violences urbaines classiques avec des voyous ou du militantisme ultra", abonde un officier de police judiciaire.
Les comparutions devant la justice confirmeront l'origine très hétéroclite des mis en cause, dont beaucoup venaient de province.
"Jusqu'à 22H30, ça a été crescendo. Du combat de rue. Jamais je n'ai été confronté à ce corps à corps, à une telle violence", raconte Jessy Castane, délégué de l'Unsa-Police et policier à la CRS 44. "On avait l'impression que les autorités étaient en panique", se souvient Laurent, un policier d'une BAC parisienne.
Manque d'anticipation
Au bout de cette journée "hors normes", l'émotion le dispute à la polémique. Dans le viseur: la stratégie du maintien de l'ordre.
Le choix de mettre sous cloche les Champs-Elysées en créant un périmètre où les gilets jaunes pourraient, après contrôles et fouilles, manifester, est notamment brocardé par l'opposition comme en interne.
"Les Champs-Elysées étaient devenus un objet politique en soi", souligne Christophe Castaner. "Nous avons fait le choix de tendre la main" en autorisant les "gilets jaunes" à se rendre sur les Champs où les manifestations sont d'habitude interdites. "C'était un geste politique d'apaisement. Tout le monde a été surpris de cette violence".
"Il y a eu un défaut de perception de la mobilisation", observe rétrospectivement un acteur majeur du maintien de l'ordre: "Dans la préparation du 1er décembre, il y a eu un discours flottant où on cherchait encore à distinguer +les bons et les méchants+."
"Ce que je ne comprends pas, c'est que ça ait été pire que l'acte 2", confie François (prénom modifié), un militant se présentant comme "révolutionnaire" et qui a participé à de nombreux actes du mouvement social des gilets jaunes lancé le 17 novembre 2018.
Pour lui, "les actes 3 et 4 ne s'expliquent que parce qu'il y a eu l'acte 2" avec son lot de heurts. "+Les gilets jaunes+ l'ont senti: +Quand on pète tout, ça fait peur aux puissants, donc il faut recommencer+. Et comme le gouvernement était encore dans une phase à dire +on ne change rien+, ça les a galvanisés."
Une certitude émerge place Beauvau: à Paris, "la gestion de l'ordre public, qui remonte au préfet Massoni (1993-2001), est totalement dépassée, trop figée". Il faut en changer. Vite.
A peine l'ordre rétabli dans les rues qu'une réunion d'état-major est organisée au ministère de l'Intérieur. Le dimanche, des premières propositions sont faites à Matignon et à l'Elysée. "Mobilité", "réactivité" des forces seront les maîtres mots.
Le 8 décembre, un dispositif policier sans précédent attend les "gilets jaunes" à Paris, avec véhicules blindés de la gendarmerie et unités ad hoc de policiers en civil, les détachements d'action rapide (DAR).
Des heurts éclatent à nouveau et font de nombreux dégâts. 1.082 personnes sont interpellées dont 975 gardés à vue. Du jamais vu.
Forces de l'ordre et autorités ont le sentiment d'avoir gagné le bras de fer face à la rue. Un chef policier tempère: "On a mis une raclée mais ça n'a rien changé".