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« Nous, la vague », sur Netflix.© Netflix

« Nous, la vague » : quand Netflix a des ambitions sociétales

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Portée par de jeunes acteurs convaincants et une bande-son dynamique, cette série allemande sur le militantisme parvient à tirer son épingle du jeu.

On ne pourra pas dire que Nous, la vague, teen drama aux ambitions sociétales disponible depuis peu sur Netflix, donne vraiment envie de vivre dans la petite ville allemande qu'il prend pour cadre. Le ciel est y bas comme l'espérance de vie d'un veau en liberté dans ses rues, l'horizon bouché comme un évier trop vétuste, l'extrême droite y fleurit en exploitant peurs et frustrations, et les jours paraissent tout aussi longs aux lycéens, qu'ils viennent de milieux aisés, comme la jeune Léa aux faux airs de première de classe, ou qu'ils dorment en prison comme le mystérieux Tristan, nouveau venu aussi blond que ténébreux, en réinsertion sociale dans le lycée. Ce qui va déclencher le drama dans la vie de ces teen  ? Léa découvre le militantisme anticapitaliste en lisant un ersatz fictionnel du No Logo de Naomi Klein et au contact du révolté Tristan, qui fédère autour d'eux un petit groupe d'amis, tous outsiders mais aux motivations diverses, puis un mouvement tout entier : la fameuse Vague du titre.

Clarifions tout de suite une chose importante : Nous, la vague n'a pratiquement plus rien à voir avec le film dont il prétend s'inspirer (La Vague, de Denis Gansel, 2008), ni avec le roman de Todd Strasser (La Vague, 1981, souvent cité dans les programmes scolaires français). Et encore moins avec l'étude expérimentale dont ces deux œuvres s'inspiraient. En 1967, Ron Jones, professeur d'histoire dans un lycée de Palo Alto, en Californie, avait en effet mené une expérience assez effrayante : sous couvert de rétablir l'autorité et la discipline nécessaires à un meilleur apprentissage dans sa classe, il avait fondé un véritable mouvement cryptofasciste, la «  Troisième Vague  », favorisant l'esprit de corps et s'opposant à toute forme d'individualisme - y compris, in fine, à la démocratie. L'objectif était de démontrer par l'exemple comment un peuple pouvait se laisser entraîner sans réagir dans l'horreur de la Shoah. La réussite dépassa ses attentes : dès le deuxième jour, des élèves de tout le lycée venaient assister à ses cours afin de rejoindre son mouvement, et il dut mettre fin à son expérience, beaucoup trop concluante, dès le cinquième. Ron Jones avait voulu montrer comment la soumission à l'autorité pouvait mener très rapidement au pire en flattant les plus bas instincts de l'être humain, et qu'il était très facile de transformer un groupe fermé en véritable dictature. De cette «  Troisième Vague  », il ne reste pratiquement rien dans la série de Netflix.

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait

Celle-ci raconte bien la naissance d'un mouvement politique dans une petite communauté, cette « Vague » emmenée par cinq jeunes lycéens décidés à mener la vie dure à ce que la société moderne a produit de pire : leaders d'extrême droite, fabricants d'armes, chaîne de fast-food, abattoirs… Tout ce qui représente de près ou de loin l'injustice, l'aliénation contemporaine et la privation d'espoir. Dans ces combats, ils seront peu à peu rejoints par d'autres camarades (mais le mouvement ne risque-t-il pas de se perdre en s'agrandissant trop ?) puis soutenus par une partie (jeune et connectée) de la population. La série met d'ailleurs assez bien en scène, quoique trop schématiquement, le rôle joué par les réseaux sociaux dans le développement d'un mouvement militant. Ils seront surtout rattrapés par les ennuis et les conflits : la police les prend bien naturellement en grippe et leurs parents sont plus ou moins compréhensifs, mais les principaux dangers viendront de l'intérieur, de la diversité des motivations et des risques de dérives violentes du mouvement - jusqu'à l'épisode final où s'opposent frontalement deux conceptions de la lutte : celle pour laquelle la fin justifie tous les moyens, et celle pour laquelle la violence est une défaite en elle-même. La question qui sous-tendait les adaptations précédentes de La Vague (comment naît une autocratie violente et totalitaire) n'est traitée nulle part (et heureusement, sans quoi, au vu de son postulat de départ, la série se serait transformée en véritable plaidoyer anti-militantisme), mais remplacée par une autre, tout aussi légitime, bien que plus intime : jusqu'où peut-on et doit-on aller lorsqu'on est persuadé de combattre pour une cause juste  ?

Visuellement, Nous la vague est un produit bien de son époque : les acteurs sont tous bons (surtout les jeunes, leurs aînés et adversaires ayant tendance à sacrément cabotiner pour jouer les méchants), la réalisation est nerveuse, proche des personnages sans effets de manche superflus, et la bande-son (certes trop présente et parfois un peu hors sujet dans son intensité) est un bon mélange d'électro et de pop-rock au diapason de la génération qu'elle dépeint (minus le hip-hop pratiquement absent). Chaque épisode amène son lot parcimonieux de révélations et de prises de conscience : ni trop ni trop peu. En matière de construction, comme de production, certainement de la belle ouvrage, très loin de ce qu'on imagine encore trop souvent lorsqu'on parle de fiction allemande. Malheureusement, le propos politique qui sert de moteur à une grande partie de la série se révèle vite beaucoup trop brouillon et confus. Si on s'attache aisément aux combats menés (à moins d'être pro-armes, pro-cruauté envers les animaux ou résolument raciste), ceux-ci sont introduits et présentés par une telle pluie de clichés qu'ils en perdent pratiquement toute force. Les actions dépeintes n'ont absolument rien de crédible (l'enlèvement du leader d'extrême droite) ou bien sont trop caricaturales pour susciter autre chose qu'un lever de sourcil poli (l'intrusion à la soirée des actionnaires). Quant à l'opposition déclarée au mouvement, elle se vautre dans le ridicule, la faute à une représentation si peu fine qu'elle agace plus qu'elle ne convainc (mention spéciale au policier fascisant, dépressif et borderline, à qui on a dû faire croire qu'il jouait un méchant dans un film de Luc Besson). Pour chaque problématique, la série semble renvoyer dos-à-dos la génération passée, fataliste et passive donc complice par laisser-faire plus que conviction, et la jeunesse, tellement maladroite qu'elle en devient à son tour dangereuse, pour elle-même et pour les autres. Comme si l'objectif était d'illustrer le vieil adage « si jeunesse savait, si vieillesse pouvait »… Ce qui revient à dire, un peu tristement, qu'on a fort peu de chances d'arriver à quoi que ce soit…

Mais lorsqu'on s'éloigne de l'abstraction politique, et qu'on touche à la réalité des relations humaines, Nous, la vague s'avère beaucoup plus prenante et convaincante. Car une fois dépassée une première partie d'exposition des différents personnages qui n'échappe pas, elle non plus, aux clichés agaçants des séries pour ados, et qu'elle explore réellement les bouleversements affectifs qui accompagnent le glissement progressif vers le militantisme, la série sonne vraie, et se fait pardonner tous ses défauts. Comme si le propos politique, bien plus qu'un message des scénaristes à destination des spectateurs, n'était finalement qu'un prétexte pour révéler les failles et les contradictions des personnages, pour les entraîner dans des conflits et des remises en question, pour les faire évoluer – bref, pour en faire des héros de fiction. Nous, la vague n'a rien d'un brûlot contestataire, et ce n'est peut-être pas grave : c'est tout simplement un bon teen drama qui a le mérite de s'ancrer dans la réalité de son époque et de s'en nourrir. Avec un peu plus de nuances et de profondeur, de simplement efficace elle aurait pu être enthousiasmante.

Nous, la vague, disponible sur Netflix.